Pas une semaine ne se passe au Nigeria sans qu'on annonce une nouvelle enquête ou une arrestation pour corruption. Mais le président Muhammadu Buhari est loin d'avoir gagné la guerre contre ce fléau.
Lors de son élection l'an dernier, l'ex-général Buhari avait fait sa priorité de la lutte contre la corruption endémique qui gangrène le géant de l'Afrique de l'Ouest.
Plusieurs responsables politiques et du monde des affaires ont été arrêtés et inculpés par la Commission sur les crimes économiques et financiers (EFCC), l'agence gouvernementale anti-corruption.
Mais plus le temps passe, plus il apparaît que la croisade de M. Buhari se heurte à un obstacle, qu'on pourrait appeler l'"alibi Goodluck Jonathan", du nom du précédent président.
Avant même l'annonce du résultat de la présidentielle en mars 2015, M. Jonathan avait reconnu sa défaite, la première d'un président sortant dans l'histoire du Nigeria. En retour, le vainqueur avait tendu la main à son rival malheureux pour éviter un nouvel épisode de violences électorales comme le pays en a connues dans le passé.
"Le président Jonathan n'a rien à craindre de moi", avait-il assuré après sa victoire.
De fait, l'ancien dirigeant n'a été inquiété dans aucune des enquêtes lancées jusqu'ici par la Commission.
Mais cette immunité de fait commence à poser un sérieux problème au ministère public, à mesure que les premières audiences ont lieu devant les tribunaux.
Ainsi l'affaire Olisa Metuh : cet ancien porte-parole de la formation de Goodluck Jonathan, le Parti démocratique populaire (PDP), est accusé de blanchiment d'argent.
Il aurait perçu une partie des millions de dollars qui étaient destinés à l'achat d'armes et équipements pour combattre les islamistes de Boko Haram mais qui ont été détournés au profit de dirigeants du PDP. L'argent aurait servi à financer la campagne en vue d'une réélection du président Jonathan.
Pour sa défense, M. Metuh affirme avoir simplement obéi aux directives du président, et la semaine dernière il a demandé à être acquitté pour la bonne raison que son ancien patron n'avait pas été convoqué par la justice.
"L'ancien président est un témoin indispensable", explique à l'AFP l'avocat de M. Metuh, Onyechi Ikpeazu. Sans lui, dit-il, l'accusation ne tient pas: "ce trou dans l'enquête constitue une faille fatale dans leur dossier".
"Une décision politique"
Un juge doit prendre une décision la semaine prochaine, et si elle était en faveur du responsable du PDP, cela créerait un grave précédent pour la suite.
Un avocat de l'ancien conseiller à la sécurité nationale Sambo Dasuki, l'homme au centre de ce scandale des ventes d'armes, a déjà laissé entendre qu'il allait s'engouffrer dans la brèche et adopter la même ligne de défense.
M. Dasuki prétend lui aussi n'avoir fait qu'obéir au commandant en chef des armées de l'époque, c'est-à-dire le président Jonathan.
"Le conseiller à la sécurité nationale applique normalement les instructions du président", avait déclaré en janvier à l'AFP l'avocat de M. Dasuki, Ahmed Raji.
Pour sa part, l'ancien président Jonathan, qui ne jouit plus de l'immunité liée à sa fonction, a choisi de garder le silence.
"Ces affaires de corruption et de détournement de fonds sont l'objet d'enquêtes judiciaires et je ne ne voudrais pas compromettre l'application de nos lois", a-t-il dit en janvier à la chaîne France 24.
"Je ne voudrais pas faire de commentaires qui pourraient faire croire que je poursuis un débat avec le président actuel", a-t-il ajouté.
Si l'"alibi Jonathan" fonctionne, nombreuses sont les personnalités mises en cause qui pourraient s'en tirer à bon compte, ce qui porterait un sérieux coup à la promesse de M. Buhari d'en finir avec la corruption et l'impunité.
De plus, avec la crise économique provoquée par l'effondrement du prix du pétrole, dont le Nigeria est le premier producteur d'Afrique, le président Buhari peut difficilement se permettre une guerre ouverte avec l'opposition.
"C'est une décision politique", déclare Clement Nwankwo, directeur exécutif du Policy and Legal Advocacy Centre d'Abuja qui prône une plus grande transparence et une meilleure gouvernance.
"La question est de savoir si l'administration Buhari possède le capital politique suffisant pour amener Jonathan à témoigner", dit-il.
Un compromis possible serait de prononcer des condamnations clémentes, ou pas de condamnation du tout.
"Je ne pense pas que tous ces gens finiront devant les tribunaux ou en prison", estime Manji Cheto, analyste au cabinet de conseil Teneo Holdings.
AFP