Le président du Nigeria avait donné un ultimatum à ses généraux : il fallait en finir avec l'insurrection de Boko Haram d'ici la fin de l'année. Mais les attaques du groupe islamiste continuent et la coalition militaire régionale chargée de le combattre peine à se mettre en place.
Lors de sa campagne électorale pour la présidentielle de mars, l'ancien général Muhammadu Buhari avait promis de mobiliser tous les moyens pour vaincre rapidement l'insurrection qui ravage le nord-est du Nigeria depuis 2009 et qui a fait 17 000 morts et deux millions et demi de réfugiés. Devenu chef de l'Etat, il avait donné en août à l'armée jusqu'à fin décembre pour accomplir sa promesse.
En vain. Comme un défi lancé au nouveau président, les attaques ont redoublé de violence et les attentats-suicides se sont multipliés dans tout le nord du Nigeria, faisant 1 500 morts depuis l'investiture de M. Buhari fin mai. Samedi, une triple attaque-suicide a fait a fait 27 morts et 80 blessés sur une île du lac Tchad.
"C'est quasiment impossible qu'ils tiennent le délai", estime Fulan Nasrullah, un expert en sécurité qui suit le conflit. "Boko Haram contrôle toujours une partie du nord de l'Etat de Borno", le fief des insurgés affiliés au groupe Etat islamique. "Il y a toujours des attaques à Chibok, Buratai, Gwoza (trois villes de Borno), à Buni Yadi (dans l'Etat voisin de Yobe), ainsi que dans la région de Gulak", dans l'Etat voisin d'Adamawa.
"Cellules dormantes"
L'armée, qui semblait en déroute en 2014, a quand même regagné du terrain et annonce régulièrement des succès. Elle a entamé des opérations "en profondeur" pour traquer les insurgés dans la forêt de Sambisa (Borno), un de leurs bastions. Mais les militants islamistes ont bougé vers les îles du lac Tchad, plus au nord, selon des analystes.
La police secrète a de son côté annoncé samedi qu'elle avait démasqué ces dernières semaines des "cellules dormantes" de Boko Haram dans la capitale Abuja et arrêté 12 personnes. Un succès certes, mais pas forcément rassurant.
La date-butoir décrétée par le président Buhari a surpris les observateurs. L'ancien général, un musulman du Nord qui avait déjà dirigé d'une main de fer le Nigeria entre 1983 et 1985, sous la dictature militaire, avait régulièrement plaidé pour une approche plus globale pour régler le conflit.
Tous les spécialistes s'accordent à dire que le sous-développement du nord-est du Nigeria est une des raisons profondes de l'insurrection, poussant des jeunes sans espoir à s'engager auprès des islamistes radicaux.
Développer l'économie du Nord-Est
Déjà sous la présidence précédente de Goodluck Jonathan, des voix s'étaient élevées, jusqu'au plus haut niveau, pour réclamer une nouvelle politique misant sur le développement économique et social du Nord-Est, plutôt que de continuer à claironner de prétendus succès militaires et de promettre sans arrêt la fin du conflit, ce qui discréditait le gouvernement.
Mohammadu Buhari a entamé une vaste réorganisation de l'armée, délocalisant le commandement des opérations anti-Boko Haram à Maiduguri, la capitale de l'Etat de Borno. D'après le gouvernement, le moral des troupes est remonté et les soldats sont désormais mieux équipés en armements. Sans qu'il n'y ait pour autant d'amélioration rapide de la situation.
Se donner un délai artificiel pour vaincre la rébellion est "inutile" pour Ryan Cummings, expert de la société de sécurité Red24.
Pour éviter de se discréditer et que l'opposition ne dénonce un rétropédalage, le président Buhari a d'ailleurs précisé lundi 7 décembre que ce délai n'était qu'"indicatif", dans un message adressé aux chefs de l'armée. En septembre, il avait déjà expliqué dans une interview à l'AFP qu'il espérait que "les principales opérations" contre Boko Haram seraient achevées fin décembre, mais qu'il "ne s'attendait pas à ce que l'insurrection soit complètement terminée".
Alors que Boko Haram a étendu son champ d'action aux pays voisins - Niger, Tchad et Cameroun, frontaliers du nord et du nord-est du Nigeria -, une action régionale coordonnée est impérative, souligne Ryan Cummings.
Une force militaire régionale (MNJTF) anti-Boko-Haram de 8 700 hommes, soutenue par l'Union africaine, devait se déployer en juillet, mais elle n'a toujours pas démarré ses opérations et aucune explication n'a été donnée sur ce retard.
"Il y a plusieurs dynamiques en jeu, ce qui rend difficile de pronostiquer quand se terminera vraiment l'insurrection", estime Ryan Cummings. "Mais une fin rapide de la crise est très improbable."
Avec AFP