Une semaine après les images sidérantes d'émeutes en plein Paris qui avaient fait le tour du monde, les manifestants n'ont pas renoncé, malgré les mises en garde des autorités, et se sont rassemblés massivement à Paris ou en province, avec 125.000 personnes recensées dans toute la France vers 16h TU, non loin des 136.000 de samedi dernier.
Si la situation est restée relativement calme durant la première moitié de la journée, elle s'est ensuite tendue à Paris et dans plusieurs villes de province avec des affrontements et des pillages à la faveur de la nuit hivernale et de l'arrivée dans les cortèges des casseurs dénués de toute revendication.
Moins spectaculaires que la semaine précédente (affrontements sous l'Arc de triomphe, innombrables barricades enflammées et rues saccagées), les scènes de violence se sont réparties largement dans de nombreuses villes françaises.
Le Premier ministre Edouard Philippe s'est félicité de "la bonne préparation des forces de l'ordre" qui étaient fortement mobilisées (89.000 sur le territoire), et le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner pense avoir "cassé la dynamique des casseurs".
Fait exceptionnel : des véhicules blindés de la gendarmerie ont été déployés à Paris, résumant la montée en puissance sécuritaire du gouvernement d'Emmanuel Macron, qui ne parvient pas à apaiser depuis trois semaines cette colère des classes populaires françaises contre la politique fiscale et sociale du président français, dont le signe de ralliement est le gilet jaune fluorescent de signalisation que chaque conducteur français doit avoir dans son véhicule.
- Très nombreuses arrestations -
Après les événements de la semaine dernière, les autorités avaient prévenu qu'elles seraient beaucoup plus sévères et mobiles dans leur traque des éléments violents.
Des centaines de personnes ont été arrêtées dans les gares ou aux abords des lieux de rassemblement, avant même toute manifestation, principalement car elles étaient en possession de marteau, de boules de pétanque, de pavés, de masques...
Et au total, il y a eu un nombre très élevés d'interpellations, 1.385 vers 18hTU, et "ce chiffre va encore progresser", a annoncé M. Castaner.
La météo capricieuse n'a pas dissuadé les manifestants. "Le temps est pourri, le gouvernement aussi", scandaient dans l'après-midi une poignée de "gilets jaunes" remontant l'avenue de l'Opéra, alors qu'une petite pluie fine et glaciale commençait à tomber sur la capitale. "Macron ! Démission!" a aussi été beaucoup scandé.
Comme la semaine dernière, des voitures et du mobilier urbain ont été incendiés, des vitrines saccagées et des magasins pillés, à Paris, mais aussi dans de nombreuses villes de province.
Comme à Bordeaux et Toulouse (Sud-Ouest), Lyon (Est), Nantes (Ouest), Saint-Etienne (centre) ou encore Marseille (Sud) où des échauffourées ont éclaté sur la célèbre Canebière.
Un manifestant a été grièvement blessé à Bordeaux, sa main arrachée par une grenade anti-émeute qu'il avait ramassée. Au total 118 manifestants et 17 membres des forces de l'ordre ont été blessés, selon le gouvernement.
Plusieurs de ces manifestations ont fusionné avec les marches organisées parallèlement pour le climat, dans le cadre d'un appel international à l'occasion de la Conférence de l'ONU sur le climat qui se déroule en Pologne.
Mais au delà de sa réponse sécuritaire, le gouvernement cherche toujours une sortie politique à cet engrenage de révolte qui n'a aucune raison de s'arrêter de lui-même.
Les "gilets jaunes" sont issus majoritairement des classes populaires et moyenne. Cette France des fins de mois difficiles se dit excédée par la politique fiscale et sociale d'Emmanuel Macron, jugée injuste. Depuis trois semaines ils manifestent sans relâche en organisant des barrages filtrants et sit-in à travers le pays, des actions d'entraves sur les routes qu'ils ont continué de perpétrer samedi.
Le recul du gouvernement sur la hausse des taxes sur le carburant, revendication première des "giletsjaunes", n'a pas permis d'apaiser un mouvement particulièrement défiant à l'égard des élites politiques et des partis traditionnels.
Dans la manifestation à Paris, Lydie Bailly, 48 ans, confie ne plus s'en sortir. "Je suis aide-soignante en gériatrie depuis 15 ans. Quand on est absente, on n'est pas remplacée. On n'a pas eu d'augmentation de salaire depuis dix ans, c'est juste révoltant".
- "Retisser l'unité nationale" -
L'exécutif français, très impopulaire, sous la pression de ce mouvement soutenu par une majorité de Français n'arrive pas à réduire cette fracture sociale, d'autant que le mouvement des "gilets jaunes", déstructuré et évoluant hors des cadres établis, n'a pas de véritable leader, rendant épineuses les tentatives de négociation.
Le Premier ministre Edouard Philippe a appelé de ses voeux une union nationale retrouvée. Il faut "retisser l'unité nationale", a-t-il dit samedi soir, ajoutant que le président Macron, pratiquement muet depuis les émeutes de samedi dernier, allait bientôt sortir de son silence.
Emmanuel Macron "s'exprimera. Il lui appartiendra de proposer les mesures qui viendront nourrir ce dialogue et qui permettront, je l'espère, à l'ensemble de la Nation française de se retrouver et d'être à la hauteur des enjeux", a ajouté le Premier ministre.
Cette révolte de ceux qui se vivent comme des laissés pour compte a été saluée samedi par l'américain Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump et un des théoriciens de la poussée populiste dans le monde occidental.
"Les gilets jaunes (...) de France, sont exactement le même type de gens qui ont élu Donald Trump (...), qui ont voté le Brexit. Ils veulent le contrôle de leur pays", a-t-il assuré, alors que le mouvement des "giletsjaunes" français échappe largement à toute récupération des partis politiques traditionnels.
Et le phénomène fait florès hors de France. Samedi, 400 personnes ont été arrêtées à Bruxelles lors d'une manifestation de "gilets jaunes". Des manifestations dans le calme se sont aussi déroulées aux Pays-Bas.