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Le calvaire fiscal des "Américains accidentels"


Les membres de l'Association des Américains accidentels (AAA), à Paris, le 7 décembre 2017.
Les membres de l'Association des Américains accidentels (AAA), à Paris, le 7 décembre 2017.

Quand Gérard Bouscharain a appris qu'il était Américain, il a d'abord pensé à une blague, puis une erreur. Aujourd'hui, il penche plutôt pour un "cauchemar": comme de nombreux "Américains accidentels", il risque un redressement fiscal, sur fond d'imbroglio bureaucratique.

Problèmes bancaires, tracas administratifs, menaces de poursuites : "c'est une situation ubuesque", soupire ce retraité de 68 ans. "Je suis Français, je vis en France, je vote en France. Je ne vois pas pourquoi je devrais payer des impôts aux Etats-Unis!"

Né à New York de parents français, M. Bouscharain n'a passé que quelques semaines aux Etats-Unis. "Mon père travaillait aux Nations Unies, mais nous sommes partis quand j'avais trois mois", confie le sexagénaire, assurant n'avoir "jamais pensé une seconde avoir la nationalité américaine".

C'est sa banque, en mars, qui s'est chargée de lui rafraîchir la mémoire. "Je souhaitais renégocier un prêt immobilier. On m'a dit: +ah, vous êtes né aux Etats-Unis, il faut que vous nous donniez votre numéro fiscal américain+".

Tombant des nues, Gérard Bouscharain doit vite se rendre à l'évidence: en vertu du droit du sol américain, il est binational et se trouve donc dans l'illégalité faute d'avoir déclaré ses revenus aux Etats-Unis.

"J'ai engagé des démarches auprès du fisc américain en remplissant le formulaire réclamé par ma banque. Si je voulais mon prêt, je n'avais pas le choix", dit le retraité, aujourd'hui "dans l'attente". "Ma banque peut transmettre des informations aux Etats-Unis, qui peuvent me demander des comptes."

'Fatca' et Kafka

Comme lui, ils sont des centaines en France à ferrailler contre l'administration américaine, afin que soit reconnu leur statut d'"Américains accidentels" et s'épargner le paiement d'impôts jugés indus.

En cause : le dispositif fiscal américain consistant à taxer les revenus sur le fondement de la nationalité, quel que soit le lieu de résidence, mais aussi le "Foreign account tax compliance act" (Fatca), adopté par Washington en 2010.

Cette loi, destinée à lutter contre l'évasion fiscale et appliquée en France en vertu d'un accord bilatéral de 2014, autorise Washington à réclamer des informations aux banques sur leurs clients américains. En cas de refus, les établissements concernés s'exposent à des sanctions.

"C'est un mécanisme kafkaïen", s'agace Fabien Lehagre, président de l'Association des Américains accidentels (AAA), créée début 2017 pour défendre les "victimes" de l'extraterritorialité américaine. "Certains parmi nous n'ont jamais mis les pieds aux Etats-Unis et ne parlent pas anglais, mais on leur réclame de l'argent!"

En raison d'une convention bilatérale, les impôts payés en France par les ressortissants américains ne viennent en effet qu'en déduction des taxes dues aux Etats-Unis. Et comme "les Etats-Unis ne prennent pas en compte certains prélèvements français", comme la CSG, "on a des situations très compliquées", dit M. Lehagre.

Multiples formulaires

L'histoire de Marilyn Wiles Mooij, née aux Etats-Unis de parents franco-britanniques et revenue en France un mois plus tard, en est l'illustration. Cette sexagénaire, qui pensait avoir abandonné la nationalité américaine à ses 21 ans, s'est vu réclamer récemment 6.000 euros par l'IRS, le fisc américain, tout en étant non-imposable en France.

"On a menacé de fermer mon compte bancaire, mon assurance-vie a été clôturée. Je ne peux pas vendre ma maison sans que les Etats-Unis soient au courant et me réclament de l'argent... On marche sur la tête!", s'énerve cette retraitée parisienne, qui a choisi de "ne rien payer".

La loi américaine prévoit, en théorie, une procédure accélérée pour renoncer à sa nationalité. Mais la démarche reste compliquée. Obtention préalable d'un numéro de sécurité sociale américain, multiples formulaires. "C'est un parcours du combattant", explique M. Lehagre.

La procédure s'avère en outre très coûteuse. "2.000 euros de frais de dossier, sans compter les éventuels frais d'avocat, qui tournent autour de 15.000 euros. En plus, cela n'évite pas de payer ses arriérés d'impôts, puisqu'il faut se mettre en règle au préalable avec l'IRS", rappelle le trentenaire.

Tom Wallis, 41 ans, en a fait l'amère expérience. Cet entrepreneur né d'un père américain, mais qui a toujours vécu en France, s'est vu réclamer 100.000 euros après avoir revendu sa société. "Avec mes frères et soeurs, j'avais déjà payé 150.000 euros d'avocat. J'ai décidé d'arrêter là. Mes impôts, je les paye en France."

Fraudeurs et parias

Pour mettre un terme à cet imbroglio, l'AAA a multiplié les prises de contact au niveaux gouvernemental et parlementaire en France. En parallèle, l'association a engagé une procédure devant le Conseil d'Etat pour s'opposer à l'application en France du Fatca.

"Aujourd'hui, l'accord n'est pas mis en oeuvre de façon réciproque par les Etats-Unis. Or un accord international ne peut être appliqué en droit interne qu'à condition qu'il le soit de façon réciproque", plaide l'avocat de l'association, Me Patrice Spinosi.

De quoi convaincre les autorités françaises et américaines de prendre le problème à bras-le-corps? Contactée par l'AFP, l'IRS a assuré être "consciente des inquiétudes", tout en se référant au droit fiscal.

Nous "faisons en sorte de permettre à ces contribuables de se mettre en règle avec un minimum de contraintes", a indiqué un porte-parole, en invitant les personnes concernées à régler "rapidement leur contentieux fiscal en consultant un conseiller au fait des lois en vigueur".

Au ministère des Affaires étrangères, on informe avoir "évoqué" ce dossier "à de nombreuses occasions" avec les autorités américaines, et notamment "la possibilité que les personnes concernées" puissent avoir accès à "des dispositifs facilités de renonciation à la citoyenneté américaine".

Une action jugée à ce stade insuffisante par l'AAA. "Pour l'instant, ça n'avance pas beaucoup", regrette Marilyn Wiles Mooij, qui exprime son "découragement": "Pour les Etats-Unis, on est des fraudeurs, et pour la France on est des parias".

Avec AFP

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