La justice néerlandaise s'est déclarée compétente vendredi 18 décembre pour examiner des plaintes pour pollution dans le delta du Niger contre le géant pétrolier Shell, une décision qui pourrait faire jurisprudence en matière de responsabilité environnementale.
Quatre fermiers et pêcheurs nigérians avaient saisi la justice néerlandaise en 2008, accusant le groupe anglo-néerlandais d'être responsable de fuites d'oléoducs ayant détruit leurs terres et leurs étangs.
"Les tribunaux néerlandais et cette cour estiment qu'ils ont compétence dans l'affaire contre Shell et sa filiale au Nigeria", a déclaré le juge Hans van der Klooster lors d'une audience publique à la Cour d'appel de La Haye.
Les plaintes entendues en 2016
Le juge a par ailleurs exclu un recours en cassation et indiqué que les plaintes seraient entendues en 2016.
Premier producteur d'Afrique avec plus de 2 millions de barils par jour, le Nigeria est le théâtre depuis 50 ans d'une exploitation pétrolière extrêmement polluante.
Les Nigérians demandent que Shell nettoie les dégâts dans leurs villages, Goi, Ikot Ada Udo et Oruma, et s'engage à surveiller et à mettre à jour son matériel défectueux.
Ils demandent également que Shell fournisse des documents qui, selon eux, devraient prouver que le géant pétrolier a fait preuve de négligence dans l'entretien des oléoducs et leur surveillance contre le sabotage.
Shell souhaitait un procès au Nigeria
Shell souhaitait de son côté que la justice néerlandaise se dise incompétente et juge qu'un éventuel procès contre sa filiale devrait être organisé au Nigeria, là où les faits se sont déroulés.
Les juges d'appel ont partiellement inversé vendredi la décision rendue en 2013 en première instance. La justice néerlandaise s'était alors déclarée incompétente et estimé que la maison-mère, dont le siège se trouve à La Haye, ne pouvait être tenue responsable des éventuelles négligences de sa filiale.
La filiale nigériane de Shell avait elle été tenue partiellement responsable et été condamnée à payer des indemnités dans une des quatre requêtes.
Les deux parties avaient interjeté appel.
Les juges ont estimé vendredi qu'il serait faux de "partir du principe que la maison-mère ne peut pas être tenue responsable de l'éventuel négligence de sa filiale nigériane", selon un communiqué du tribunal. La question devra être tranchée lors d'un procès.
Un précédent important
Ils ont par ailleurs ordonné à Shell de fournir les documents demandés par les plaignants.
"Ce jugement est une victoire majeure, pas seulement pour les fermiers, mais aussi pour le peuple nigérian", a réagi Geert Ritsema, porte-parole des Amis de la Terre, l'ONG ayant soutenu les quatre plaignants.
"Cela établit un précédent important, cela veut dire que les tribunaux néerlandais peuvent se prononcer sur des sociétés néerlandaises à l'étranger", a-t-il ajouté.
Les quatre fermiers ont suivi les procédures par Skype et sont "emplis de joie", a assuré M. Ritsema.
Shell s'est quant à lui dit "déçu que le tribunal ait estimé qu'il a une juridiction internationale sur Shell Nigeria".
"C'est vital que les multinationales doivent répondre d'actes portés à l'étranger et qui ne seraient jamais acceptés dans leurs pays d'origine", a pour sa part réagi Mark Dummett d'Amnesty International, dans un communiqué.
Des normes environnementales plus laxistes à l'étranger
De nombreuses ONG accusent en effet les grands groupes pétroliers d'appliquer des normes environnementales beaucoup plus laxistes à l'étranger que dans leur pays d'origine, ce que réfute Shell.
Ces associations demandent que soient passées des lois qui forceraient les groupes à appliquer des normes identiques, quel que soit le pays de leur activité.
Selon les Amis de la Terre, la pollution pétrolière au Nigeria est deux fois plus importante que les 5 millions de barils qui avaient été déversés dans le Golfe du Mexique en 2010 suite à la fuite causée par l'explosion de la plate-forme Deepwater Horizon du britannique BP.
Plus grand producteur de pétrole du Nigeria, Shell conteste ce chiffre et assure que la pollution est bien moindre. Il affirme en outre que les fuites résultent de sabotages à grande échelle.
En 2011, une enquête de l'ONU avait conclu que la pollution pétrolière dans l'Ogoniland, région du delta du Niger, pourrait nécessiter l'opération de nettoyage la plus vaste jamais entreprise au monde, d'une durée de 25 à 30 ans.
Dans une autre affaire initiée en Grande-Bretagne, Shell a trouvé un accord avec 15 000 plaignants : le géant pétrolier va payer 75 millions d'euros aux habitants d'un village, Bodo, et a promis de nettoyer les dégâts causés par deux fuites de pétrole.
Avec AFP