Pendant tout le mois sacré de jeûne musulman, Sahar al-Chérif, ses cinq enfants et ses petits-enfants vont pouvoir manger à leur faim tous les soirs après le coucher du soleil et avaler une collation avant l'aube.
A 40 ans, divorcée, cette matriarche remue toute l'année ciel et terre pour nourrir sa tribu: trois filles, dont deux divorcées, deux garçons au chômage qui ne trouvent pas de travail et donc pas de logement, et leurs enfants.
Avec ses maigres moyens, les repas sont plus que frugaux en temps ordinaire dans la famille Chérif. "Quand on ne vient pas à la Tekkiya, je prépare une théière, je sors deux tomates et c'est tout. On est en vie pour une seule raison: la mort ne veut pas de nous", se lamente cette femme intégralement voilée de noir.
Sahar al-Chérif est loin d'être un cas isolé dans la bande de Gaza, petite langue de terre côtière soumise à dix ans de blocus israélien et près de trois années de fermeture de la frontière égyptienne. Selon l'ONU, 72% des foyers gazaouis sont en sous-alimentation.
"On a tout le temps la tête qui tourne, on se sent mal et une de mes filles fait de l'anémie tandis qu'une autre a des problèmes rénaux", témoigne Sahar al-Chérif, en emportant son plat de riz et de poulet et une soupe qu'elle servira avant l'aube à sa famille pour tenir les 16 heures du jeûne.
Aides humanitaires insuffisantes
"J'ai 500 shekels (environ 115 euros) de loyer et de factures d'eau et d'électricité. Je reçois des aides de 100 à 200 shekels et je suis censée payer le reste de ma poche", poursuit-elle. Elle dit avoir frappé à toutes les portes, mais "personne ne se préoccupe des pauvres" à Gaza, gouvernée sans partage par le mouvement islamiste Hamas.
Dans l'enclave palestinienne, régulièrement ravagée par la guerre, le taux de chômage (45%) est l'un des plus élevés au monde. Selon la Banque mondiale, 39% des Gazaouis vivent sous le seuil de pauvreté sur un territoire où les prix ne cessent de flamber.
L'aide humanitaire, dont dépendent huit Gazaouis sur dix, n'y suffit pas. "Chaque jour, entre 150 et 200 familles" viennent chercher à manger à la Tekkiya de Gaza, affirme Hassan al-Khatib, qui la dirige. D'autres se rendent à celle de Khan Younès, plus au sud.
Et le public est extrêmement divers, assure Dib Abdel Halim, qui fait du bénévolat caritatif depuis des années et qui est encore volontaire pour cuisiner et servir à la Tekkiya. "La cible prioritaire, ce sont les foyers qui ont perdu leur soutien de famille: les veuves, les divorcées ou les femmes dont les maris ont émigré", explique-t-il.
Mais même des salariés se mêlent aux dizaines de Gazaouis qui se pressent pour récupérer leurs repas, indique ce diplômé d'université, âgé de 24 ans, qui lui non plus ne trouve pas de travail.
Tradition du XIIIe siècle
Face à la crise humanitaire, le retour à la tradition s'est imposé comme une évidence. "La Tekkiya est un élément de la culture, du patrimoine et de l'histoire" palestinienne, explique M. Khatib.
La Tekkiya serait née à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, l'autre territoire palestinien occupé par Israël. Abraham, le patriarche enterré à Hébron avec sa femme Sarah et ses fils selon la tradition, aurait, le premier, déposé de la nourriture pour les indigents. La Tekkiya de Hébron se dresse aujourd'hui encore sur les lieux présumés de ses offrandes.
Les distributions de nourriture telles qu'elles se pratiquent encore aujourd'hui ont été relancées à Hébron au XIIIe siècle.
A Hébron, elles ont lieu toute l'année. A Gaza, en revanche, les crève-la-faim envisagent avec angoisse la fin du ramadan début juillet. Rétablie en 2016, la Tekkiya ne devrait plus servir que deux fois par semaine, et non pas quotidiennement, et seulement aussi longtemps que dureront les dons privés qu'elle dit recevoir de l'étranger.
Avec AFP