Un historien tchadien, des militants européens des droits de l'Homme, un juge d'instruction belge, un statisticien américain, un graphologue canadien, et désormais un repenti de sa police politique ..
En attendant les dépositions des parties civiles, celle d'un ancien chef de service de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique du régime), Bandjim Bandoum, mardi et mercredi, représente le point culminant du procès, qui s'est ouvert le 20 juillet devant un tribunal spécial africain à Dakar.
En détention depuis deux ans au Sénégal, où il a trouvé refuge en décembre 1990 après avoir été renversé par le président Idriss Deby Itno, Hissène Habré est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture". La répression sous son régime (1980-1982) a fait 40.000 morts, selon les estimations d'une commission d'enquête tchadienne.
"Les fiches d'audition des détenus revenaient de la présidence avec des annotations: E-Exécuter. L-libérer. V-vu", a expliqué Bandjim Bandoum.
"Une fois une fiche établie par la DDS sur un prisonnier, seul le président pouvait demander une libération", a-t-il souligné. "Hissène Habré était au courant de tout ce qui se passait" à la DDS.
"Les agents de la DDS qui contestaient les ordres risquaient pour leur vie et celle de leur famille", a ajouté Bandjim Bandoum, actuellement en exil en France, affirmant que le prévenu inspirait la peur même à "ses plus proches collaborateurs".
Un des avocats commis d'office pour la défense, Me Mbaye Sene, a mis en doute l'omniscience du chef de l'Etat sur les actes de ses subordonnés.
"Si vous n'êtes jamais allé à la présidence, que vous ne lui avez jamais parlé, dites-moi comment Hissène Habré vous a donné des ordres?", lui a lancé Me Sène, se déclarant "satisfait" d'entendre Bandjim Bandoum répondre que les instructions lui parvenaient par son supérieur direct.
Une passe d'armes qui faisait écho aux controverses depuis la reprise du procès le 7 septembre, après une interruption de 45 jours pour permettre aux avocats commis d'office pour défendre le prévenu, qui récuse ce tribunal, de prendre connaissance du dossier.
"Ce sont les agents de la DDS eux-mêmes qui ont assumé les actes de l'organisation et quelques exactions, c'est vrai. Mais sans en référer au président de la République", a lancé la semaine dernière un des avocats au président de la commission d'enquête tchadienne Mahamat Hassan Abakar.
"Vous dites que la DDS était la +chose+ du président. Prouvez-le!", l'avait sommé Me Mbaye Guèye.
Un doute toutefois difficile à entretenir, tant les témoignages sur le rôle de Habré paraissent converger.
"Un des témoins que nous avons interrogés, Galy Ngothé (conseiller spécial du président tchadien déchu, NDLR), assure que Hissène Habré suivait les interrogatoires en direct grâce à un talkie-walkie. Il demandait parfois le nom des prisonniers et donnait la marche à suivre", a indiqué le juge d'instruction belge Daniel Fransen, qui a conduit une commission rogatoire au Tchad en 2002.
Le magistrat, qui a inculpé Hissène Habré dans le cadre d'une procédure belge, a également cité l'audition d'une détenue, Khadija Hassan.
"Ils m'ont fait venir à 3 heures du matin. Hissène Habré m'a planté une lampe-torche dans les yeux et m'a dit que si je ne disais pas la vérité, ce serait la fin de ma vie. Il m'a ensuite attachée à une chaise et étranglée avec un câble électrique", selon ce récit.
Toujours muet et immobile, en tunique et turban immaculés, Hissène Habré, écoute, imperturbable, ces témoignages qui l'accablent.
Il reste également de marbre à la lecture d'une correspondance manuscrite de 1984 adressée par la présidence à un ministre: "Contrôlez l'existence de prisonniers de guerre à l'hôpital. Désormais aucun prisonnier de guerre ne doit quitter la maison d'arrêt, sauf en cas de décès".
Une écriture habile et rapide. Celle de Hissène Habré ? Une conclusion jugée plausible par le graphologue Tobin Tanaka.
Hissène Habré refuse de s'exprimer devant les Chambres africaines extraordinaires, tribunal spécial créé en vertu d'un accord entre le Sénégal et l'Union africaine.
Il encourt jusqu'aux travaux forcés à perpétuité.
Avec AFP