Samedi au Mali, deux soldats de la force antijihadiste Barkhane, dont une femme, ont succombé dans l'explosion d'un engin artisanal (IED) au passage de leur véhicule, après la mort de trois militaires lundi dans des circonstances similaires. Ces décès portent à 50 le nombre de soldats français tués au Sahel depuis le début de leur intervention en 2013.
Le même jour, cent personnes étaient tuées dans l'attaque de deux villages de l'ouest du Niger, un des pires massacres de civils dans la région.
Ces pertes humaines viennent assombrir un début 2021 qui devait être l'occasion, un an après le sommet de Pau ayant rassemblé les chefs d'Etat français et de cinq pays sahéliens, de dresser un bilan encourageant: succès tactiques indéniables contre le groupe Etat islamique au grand Sahara (EIGS), élimination d'importants chefs jihadistes et coopération renforcée avec les armées locales qui ont pris part ces derniers mois à de vastes opérations antijihadistes.
Malgré un démarrage plus lent qu'escompté au départ, Paris mise beaucoup par ailleurs sur le déploiement d'unités d'élite européennes au sein de la nouvelle force Takuba, chargée d'accompagner l'armée malienne au combat.
La France compte ainsi annoncer le retrait de 600 militaires, envoyés en renfort au sein de Barkhane en janvier 2020, portant à 5.100 les effectifs français au Sahel.
"Un renfort par définition, c'est temporaire", a expliqué lundi la ministre des Armées Florence Parly dans une interview au quotidien Le Parisien, confirmant des informations dévoilées en novembre par l'AFP. Cette décision devrait être officialisée à l'occasion du prochain sommet entre la France et les pays du G5 Sahel, en février à N'Djamena.
Partir "sans perdre la face"
De sources concordantes, l'Elysée voudrait réduire encore plus les effectifs de Barkhane d'ici l'élection présidentielle de 2022. Une question lancinante à l'heure où les armées alertent sur la nécessité de se préparer à d'autres conflits plus durs sur la scène mondiale, et alors que certaines voix au sein de la classe politique mettent en doute la pertinence de cet engagement long et coûteux, qui peine à être suivi d'effets politiques sur le terrain.
"Guerre au Mali: jusqu'à quand?", s'interrogeait lundi le parti de gauche radicale La France Insoumise.
"Jusqu'à présent les Français n'ont pas questionné de façon fondamentale l'engagement de la France au Sahel. Mais il faut être très vigilants. L'opinion publique peut se retourner très vite", confiait récemment à l'AFP une source gouvernementale.
"Plus on aide le Mali, plus il s'enfonce. On a l'impression de revenir à la situation de 2012 puisque l'armée a repris le pouvoir, le pays reste coupé en deux et l'Etat n'est toujours pas présent au nord", tranche quant à lui Marc-Antoine Pérouse de Montclos, de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Or "plus on reste, plus cela devient compliqué de s'en aller, estime-t-il. La vraie question au-delà du nombre de morts, c'est comment se désengager sans perdre la face".
Reste à savoir si ces plans d'allègement graduel de Barkhane -- tout en maintenant les effectifs des forces spéciales -- ne seront pas temporairement contrariés par les 5 nouveaux morts français dans deux attaques successives, dont la première a été revendiquée par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda.
L'effort militaire intense porté contre l'EIGS, désigné comme ennemi prioritaire au sommet de Pau, a contribué à renforcer cette autre alliance jihadiste active dans la région.
Au point que, pour le commandant de Barkhane, le général Marc Conruyt, le GSIM "est aujourd'hui l'ennemi le plus dangereux pour le Mali et les forces internationales". Un diagnostic confirmé par une source proche du dossier, selon qui l'organisation est "plus structurée et plus puissante que jamais".
"En parvenant à tuer cinq de nos soldats en quelques jours, l'ennemi a réussi à réintroduire le doute. Il faut désormais réattaquer durement pour retrouver une marge de manœuvre politique", estime le colonel Michel Goya, historien militaire, sur son blog "la voie de l'épée".