Environ 15 millions d'électeurs chiliens sont attendus aux urnes dimanche pour le second tour d'une élection présidentielle qui met aux prises deux candidats inattendus et aux projets de société diamétralement opposés.
Il y a d'une part Gabriel Boric, député depuis 2014 qui mène une coalition de gauche avec le Parti communiste. Il se présente comme le candidat du changement et l'héritier politique du mouvement de 2019 pour plus de justice sociale dans le pays le plus inégalitaire de l'OCDE.
Agé de 35 ans, l'âge minimum pour se présenter, l'ex-leader d'un mouvement estudiantin en 2011 n'était pas attendu dans le sprint final il y a quelques mois seulement.
En face, il y a José Antonio Kast, leader du parti d'extrême droite qu'il a lui-même créé. Il avait remporté 7,93% des suffrages au 1er tour en 2017 et profite aujourd'hui du rejet inspiré par l'actuel président conservateur Sebastian Piñera qui achève dans l'indifférence son second mandat (2010-2014 puis depuis 2018). La droite chilienne s'est toutefois rangée en ordre de bataille derrière lui.
M. Kast est venu en tête au premier tour le 21 novembre avec 27,9% des suffrages, contre 25,8% pour M. Boric.
Le programme économique ultralibéral de l'avocat de 55 ans propose de réduire encore plus les dépenses d'Etat et d'abaisser les impôts des entreprises pour créer de l'emploi.
Tout le contraire du programme de M. Boric qui entend lancer une grande réforme fiscale pour faire participer les plus riches du pays --dont les 1% détenant 26,5% des richesses, selon une agence de l'Onu-- à son programme redistributif d'un meilleur accès à la santé, à l'éducation, et la création d'un nouveau système de retraite, aujourd'hui entièrement privé.
"Discrédit"
Mais dans un pays gouverné par le centre-droit et le centre-gauche depuis la fin de la dictature il y a 31 ans, les électeurs semblent animés par le rejet plutôt que par l'adhésion.
Camila Chamblas, enseignante de 26 ans, veut à tout prix éviter un retour dans l'atmosphère de la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), de laquelle se revendique José Antonio Kast (un de ses frères a été ministre sous le régime militaire durant lequel au moins 3.200 opposants politiques ont été tués ou ont disparu).
"Je n'étais pas encore née mais j'en ai beaucoup parlé avec mes parents qui ont beaucoup souffert à l'époque. Les choses qu'il (Kast) dit sont comme une continuation de lui (Pinochet)", estime-t-elle.
Ricardo Sepulveda, retraité de 75 ans, ira lui voter contre le "communisme". Il raconte que sous le gouvernement socialiste (allié aux communistes) de Salvador Allende (1970-73), ses revenus ont diminué et l'insécurité a augmenté jusqu'à l'arrivée de la junte militaire qui a "rétabli l'ordre".
La campagne présidentielle a été rugueuse et "axée sur le discrédit du concurrent", a expliqué Marcelo Mella, analyste à l'Université de Santiago.
Lors de son dernier meeting jeudi, M. Kast, opposé à l'avortement, a juré que "le Chili n'est pas, et ne sera jamais, un pays marxiste ou communiste".
M. Boric, pour sa part, a estimé que son rival "n'apportera qu'instabilité, plus de haine et de violence".
"Nerveuse"
L'issue de ce scrutin indécis (les derniers sondages publiés hors du pays où ils sont interdits donnent les deux prétendants au coude-à-coude) sera dictée par la captation des voix du centre et la mobilisation des abstentionnistes du 1er tour (53%).
Javiera Munoz, 33 ans, enceinte et sans emploi, ne sait pas si elle ira "voter pour le moindre mal" ou "gaspiller" sa voix en votant blanc ou nul. Javiera Otto, employée de 24 ans, ne sait qui plébisciter: elle "n'aime ni l'un ni l'autre", n'a "pas vraiment d'espoir" et se sent guidée par "la peur".
Carol Bravo, serveuse de 34 ans, ira elle voter pour Gabriel Boric qui "donne l'espoir pour enfin achever tous les changements que le Chili a connus, surtout ces deux dernières années" avec l'écriture en cours d'une nouvelle Constitution pour remplacer celle rédigée sous l'ère Pinochet.
Elle se dit "très nerveuse" dans l'attente du résultat et ira "dans la rue" dimanche soir si l'extrême droite l'emporte.
Selon Patricio Navia, professeur à l'Université de New York, "si Kast gagne, il est certain que nous verrons des manifestations" mais "si Boric gagne, il y aura probablement des troubles sur le marché boursier". "Que ce soit sur les marchés boursiers ou dans les rues, il y aura des remous", prévient-il.