A Khartoum, les RSF sont visibles à l'intérieur et autour du siège central du Parti du congrès national (NCP), de l'ancien président qui a dominé la vie politique du Soudan pendant trois décennies.
A chaque fois que le portail de ce complexe, situé près de l'aéroport international de Khartoum, s'entrouvre, on aperçoit, dans son enceinte, de nombreux véhicules des RSF lourdement armés.
Des véhicules équipés de mitrailleuses montent la garde autour du complexe, protégé par un mur d'enceinte et qui se trouve près du Club catholique du quartier cossu de Khartoum 2.
Les RSF se sont également emparées des permanences du NCP à travers le pays, selon des sources politiques.
Trois jours après la chute le 11 avril d'Omar el-Béchir, destitué par l'armée sous la pression d'un mouvement de contestation déclenché en décembre, le Conseil militaire qui s'est emparé du pouvoir a formé une commission chargée de saisir les biens du NCP.
Paradoxes
Le journaliste de renom, Fayçal Mohammed Saleh, souligne les paradoxes de la situation.
Les biens du "parti contre lequel les Soudanais se sont révoltés sont tombés dans les mains d'une force qu'ils haïssent", analyse-t-il à l'AFP.
Le deuxième paradoxe est que "cette force qui a été construite par Béchir pour le protéger a contribué à sa chute et occupe maintenant les sièges de son parti".
Dirigées par Mohammed Hamdan Daglo, aujourd'hui numéro deux du Conseil militaire au pouvoir, les RSF sont présentées par certains comme un avatar des milices Janjawid accusées de crimes de guerre au Darfour sous le régime Béchir.
Elles sont également accusées de la dispersion brutale d'un sit-in de manifestants devant le siège de l'armée à Khartoum, épicentre de la contestation. Le chef des RSF a nié toute responsabilité, dénonçant une tentative de nuire à l'image de ses forces.
Le 3 juin, au moins 127 manifestants ont péri dans la dispersion de ce sit-in, selon un comité de médecins proche de la contestation.
Une enquête officielle a conclu la semaine dernière à l'implication de huit paramilitaires dont des membres des RSF dans cette équipée sanglante.
Déclenchées le 19 décembre 2018 après le triplement du prix du pain, les manifestations se sont rapidement transformées en contestation du régime Béchir. Elles se sont poursuivies après sa destitution pour réclamer un pouvoir civil.
Milices redoutées
La méfiance des Soudanais à l'égard des RSF est alimentée par les récits des exactions qu'elles auraient commises au Darfour.
"J'ai vu de mes propres yeux les crimes commis par les Janjawid sur ordre de Béchir", raconte un fonctionnaire originaire de cette région de l'ouest du Soudan qui se présente sous le nom de Mahmoud.
Omar el-Béchir est recherché par la justice internationale pour des accusations de crimes contre l'humanité et génocide durant le conflit au Darfour entre 2003 et 2008.
Le siège central du parti de Béchir à Khartoum est en chantier. Un bâtiment de plusieurs étages est en construction mais les travaux se sont arrêtés.
En fait, le NCP avait décidé il y a dix ans de construire un siège à l'image de sa puissance. Son vice-président d'alors Ibrahim Mahmoud avait déclaré que la Chine allait financer le projet.
La Chine entretenait de bons rapports avec le régime de Béchir et était le principal partenaire de son gouvernement dans l'exploitation de la richesse pétrolière du pays.
Mais l'essentiel des revenus pétroliers s'est tari depuis que le Soudan du sud, où se trouvent la plupart des gisements, a fait sécession en 2011.
En s'emparant des sièges du Parti du congrès national, "les RSF tentent de consolider leur emprise sur le pays", estime un homme d'affaires s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.
Reste que les membres de cette force "recrutés parmi des tribus et peu instruits peinent à gagner la confiance des Soudanais", relève M. Saleh.
"Les Soudanais voient en eux des milices tribales qui veulent s'imposer par la force", souligne-t-il.