"Vous voyez, dans ce tiroir, j'ai un mouchoir pour ceux qui se déchargent soudain de leur traumatisme!" Le docteur Charlot Serferbé Daba, psychologue, reçoit ses patients nigérians dans un minuscule cabinet psychiatrique du camp de Dar es Salaam, à 10 km du village tchadien de Baga Sola.
"Ce sont d'abord des cas de dépression sévère, qui surgissent très vite après les violences provoquées par les attaques de Boko Haram, ou bien qui font surface des mois après, sans prévenir", explique le médecin tchadien de Médecins sans frontières (MSF).
Ces réfugiés profondément marqués, qui ont fui le Nigeria par le lac Tchad pour venir se réfugier en pays voisin, sont des rescapés, des personnes blessées par balle, à coup de machette, ou bien violées par le groupe islamiste nigérian. Ou qui ont vu les leurs se faire massacrer.
Des maladies mentales profondes
Ils survivent dans des huttes en roseau, disséminées dans un camp de sable brûlé de soleil au bord du lac Tchad, qui compte environ 4.000 personnes.
Parfois, les cas sont très sévères: ainsi, le médecin a un patient qui souffre de psychose paranoïaque, qui se croit constamment pourchassé par des combattants du groupe islamiste, nuit et jour.
"Je crois qu'en plus il avale du Trémadol", une amphétamine bon marché répandue dans la grande région, du Nigeria à la Centrafrique, et dont les combattants, qu'ils soient de Boko Haram ou miliciens anti-balakas, usent et abusent.
Le psychologue a aussi un cas singulier de grossesse imaginaire chez une femme. "Elle croit être enceinte de 13 mois.... En fait, c'est une femme qui a été mariée de force, qui ne supporte pas ce mari, et qui s'est inventée un mari imaginaire avec lequel elle dit avoir des rapports sexuels la nuit".
Autre cas, une femme violée par des combattants de Boko Haram, et qui, enceinte, a de fortes tendances suicidaires. Elle est arrivée au camp après avoir marché, seule, pendant 13 jours.
Le médecin a réussi à la dissuader de se tuer, à lui redonner malgré tout goût à la vie, elle gardera l'enfant à qui elle donnera son nom, Charlot. "J'ai déjà 12 enfants dans le camp qui portent mon nom!", sourit le médecin.
Un "cabinet de santé mentale"
Le docteur Charlot Serferbé Daba se fait assister par des "relais" nigérians qui informent les réfugiés de l'existence de ce "cabinet de santé mentale", et traduisent en anglais le Haoussa, le Kanuri, le Bodoma.
Ainsi AlHadji Moussa Abba, qui habitait près de la ville lacustre nigériane de Baga, un important centre commercial attaqué par Boko Haram et situé en face de la localité tchadienne de Baga Sola.
Arrivé début janvier 2015 côté tchadien, il n'a pas encore l'intention de repartir chez lui "même si les attaques de Boko Haram ralentissent". Ici, dans le camp de Dar es Salaam ("la maison de la paix" en arabe), exposé au vif soleil et au vent de sable, il dit se sentir, justement, en paix.
Avec AFP