Les autorités américaines ont demandé à un tribunal fédéral l'autorisation de saisir un appartement de luxe qui appartient au fils du président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis près de quatre décennies.
L'affaire a d'abord été révélée par le quotidien Miami Herald, puis relayée par l'ONG Global Witness.
Selon les documents officiels du tribunal que VOA Afrique a parcourus, ni le président congolais ni son fils, Denis Christel Sassou Nguesso, ne sont poursuivis dans le cadre de cette affaire.
La propriété immobilière qui fait l'objet de la demande de saisie est située dans l'État côtier de Floride, dans le sud des États-Unis, plus précisément dans la ville de Miami, réputée pour ses plages et ses boîtes de nuit.
Un penthouse avec vue sur mer
Il s’agit d’un appartement de plus de 325 mètres carrés situé au dernier étage d’un gratte-ciel à 63 niveaux, soit la 3e structure la plus haute de Miami. Avec trois chambres, cinq salles de bain, et trois terrasses, le penthouse surplombe la magnifique baie de Biscayne avec une vue imprenable sur l'océan Atlantique.
Selon les procureurs américains, l’appartement a été acheté en 2011 par Denis Christel Sassou Nguesso par l’intermédiaire d’un Gabonais vivant aux États-Unis. Les autorités américaines affirment sous serment qu'il a été acheté avec de l'argent volé à Société nationale des pétroles du Congo (SNPC), basée à Brazzaville.
Un deuxième bien immobilier de grande valeur est également mentionné dans la plainte déposée il y a un mois, le 12 juin, mais ce dernier ne fait pas l’objet de poursuites pour l’instant.
Selon les procureurs américains, Denis Christel Sassou Nguesso a orchestré des années durant un stratagème lui permettant de détourner les fonds destinés au trésor public congolais vers ses comptes personnels et ceux de ses complices. Dans cette entreprise, selon les autorités, il a bénéficié de soutiens de plusieurs personnes tant à Brazzaville qu’à l’extérieur.
Le fils du président Sassou Nguesso est décrit dans la plainte comme un individu calculateur ayant un penchant pour le luxe extravagant. De 2001 à 2009, il a été à la tête de différents départements de la SNPC. En 2010, il est nommé "directeur général adjoint (DGA) en charge de l'aval pétrolier" par son père, le président Denis Sassou Nguesso.
Selon les autorités américaines, le DGA s'est rendu aux États-Unis à plusieurs reprises. Un jour, les autorités aéroportuaires l'ont soumis à un interrogatoire parce qu'il avait dans ses effets 100 000 dollars, soit près de 60 millions de FCFA, en espèces. Une fois à l'intérieur des États-Unis, il utilisait un second passeport avec "Denis Christelle" comme prénom et nom. Les Américains affirment qu’il s’en est servi à plusieurs reprises pour ouvrir des comptes bancaires et faire des transactions.
"Associé A"
La plainte des procureurs fédéraux précise que Denis Christel Sassou Nguesso a reçu une assistance substantielle d’un individu dont la véritable identité n’a pas été révélée. Il est tout simplement désigné comme "Associé A".
Selon la plainte, il s’agit d’un homme originaire du Gabon qui réside aux États-Unis. A partir de 2009, "Associé A" a joué le rôle de facilitateur au compte de Denis Christel Sassou Nguesso, selon les autorités. Il l’a aidé à transférer d’importantes sommes d'argent aux États-Unis, à acheter et entretenir des actifs aux États-Unis, selon les procureurs.
Entre 2009 et 2016, "Associé A" a permis à Denis Christel Sassou Nguesso d’exfiltrer 10,3 millions de dollars, soit plus de 6 milliards de FCFA, vers les États-Unis. Il s’agit uniquement des montants que les enquêteurs américains ont pu tracer avec certitude.
Selon la plainte, "Associé A" a ouvert deux comptes bancaires avec cet argent et c’est ainsi qu’il a pu acheter l’appartement luxueux de Miami. Au départ, "Associé A" s’est présenté comme l’unique acheteur, mais à la signature des documents du cadastre, il a enregistré l’appartement sous le nom de “Denis Christelle”.
Selon la plainte des autorités américaines, "Associé A" est le fils d'un ancien membre du gouvernement gabonais. Il ne fait pas l’objet de poursuites judiciaires.
SNPC, BGFI et Bank of America
Au cœur de toutes ces malversations présumées se trouvent une société de pétrole étatique et deux banques, une américaine et une gabonaise.
La Société Nationale des Pétroles du Congo (SNPC) est une compagnie pétrolière étatique. Elle est chargée de délivrer les permis d'exploitation pétrolière au nom de l'État congolais. D’après les procureurs américains, la SNPC détient 15 % des parts de tous les champs pétroliers du pays.
Les procureurs américains estiment que Denis Christel Sassou Nguesso a abusé de sa position de DGA pour détourner des millions de dollars de fonds publics de la SNPC. Il est également soupçonné d’avoir extorqué des millions de dollars additionnels sous forme de pots-de-vin.
Du côté du Gabon, il s’agit de la banque BGFI Bank, dont le siège social est à Libreville, dirigée par le Gabonais Henri-Claude Oyima.
Les autorités américaines ont obtenu des copies des échanges d’emails au fil des ans entre le PDG de la banque et le fils du président congolais, selon la plainte.
La BGFI joue un rôle central en facilitant l'exfiltration des fonds hors du Congo à partir de sa succursale au centre-ville de Brazzaville, effectuant régulièrement des transactions pour le compte de Denis Christel Sassou Nguesso. Ni la BGFI ni son personnel ne fait l’objet des poursuites dans le cadre de cette affaire.
Du côté américain, c’est la Bank of America, la deuxième plus grande banque des États-Unis, qui est utilisée. C'est là que l'argent prétendument détourné du Congo a été planqué, selon les procureurs fédéraux.
"Denis Christelle" et "Associé A" y ont tous deux ouvert des comptes bancaires. Il semble que la banque coopère avec les autorités judiciaires, par exemple en leur fournissant des relevés bancaires et des reçus de transactions.
Selon ces documents, Denis Christel Sassou Nguesso a ouvert quatre comptes bancaires à l'intérieur de l'établissement entre 2013 et 2016. Les responsables de la banque affirment qu’ils ne connaissaient pas la véritable identité du monsieur, vu qu’il utilisait son deuxième passeport sous le nom de "Denis Christelle".
Des preuves quasiment irréfutables
La plainte des procureurs fédéraux s'étend sur plus de 20 pages. Elle contient des comptes détaillés des transactions, des reçus bancaires, avec envoyeur, récipiendaire, dates et montants.
Le dossier comprend également des documents de voyage, notamment les registres des agents des aéroports et des douanes, les fiches du cadastre, les reçus des services des impôts sur l’immobilier.
Les autorités américaines disposent également d'une importante pile d'échanges d’emails entre les différentes personnes et entités impliquées dans l’affaire. Par exemple, il existe des copies de courriels échangés entre Denis Christel Sassou Nguesso et le PDG de la banque BGFI, de même que des copies d’emails entre Denis Christel Sassou Nguesso et "Associé A".
Personne n'ira en prison
Comme il s'agit d'un procès en matière civile, aucune des personnes impliquées ne court le risque d'aller en prison dans le cadre de cette procédure.
Plus précisément, la plainte s'inscrit dans ce que la jurisprudence américaine appelle des poursuites "in rem". Dans ce genre d’affaire, le procès est intenté contre l'appartement lui-même, et non contre ses propriétaires.
Cependant les propriétaires et les locataires ont la possibilité de contester les allégations des procureurs.
Si personne ne se présente pour contester la version des faits de l’accusation, ou si la contestation est infructueuse, le bien immobilier sera alors confisqué.
En général, il est par la suite vendu aux enchères et l’argent perçu est reversé dans les caisses du trésor, non pas celui du Congo, mais aux États-Unis.