Assis dans une petite pièce de Glen View, banlieue ouvrière de la capitale Harare, ce Zimbabwéen de 24 ans se sert d'une paille pour inhaler, qu'il partage avec un ami. Ce jeune diplômé en agronomie qui a requis l'anonymat consomme cette drogue depuis l'an dernier, quand le pays a imposé un confinement strict.
Tout s'est arrêté et "nous étions à la maison, nous n'avions rien à faire, alors on a fini par prendre de la drogue pour oublier nos problèmes", dit-il. "Se droguer est une façon de calmer la douleur et le stress d'être improductif".
"Quand je prends du crystal meth, j'ai beaucoup d'énergie", explique le jeune homme élancé en versant le contenu d'un petit sachet dans la pipe. Cette drogue, relativement nouvelle au Zimbabwe, s'ajoute à un cocktail de malheurs lancinants: pandémie, chômage, pauvreté et désespoir.
A trois dollars le sachet, elle est curieusement abordable dans un pays où la moitié de la population l'an dernier - soit environ 7,9 millions de personnes - vivait dans une extrême pauvreté, selon une étude récente de l'agence nationale des statistiques.
"Il y a eu une augmentation alarmante de la toxicomanie, en particulier pendant le confinement", note la psychiatre Anesu Isabel Chinoperekwei. Plus des deux tiers des patients qu'elle reçoit dans son cabinet de Harare souffrent d'affections liées à la toxicomanie, comme 65% des admis en psychiatrie dans les hôpitaux publics.
"Les méthamphétamines sont récemment devenues plus faciles à trouver et plus largement consommées" au Zimbabwe, explique-t-elle, car "c'est moins cher que l'alcool et omniprésent, on peut en trouver partout, même en pleine pandémie".
Le porte-parole de la police Paul Nyathi pense que "les drogues sont entrées dans le pays en contrebande" mais n'entre pas dans le détail.
- Toute une génération -
Les hôpitaux sont débordés par les questions d'addiction. "Nous consacrons désormais davantage de ressources pour lutter contre la dépendance, au détriment d'autres problématiques de santé mentale", regrette le médecin.
L'addiction au "mutoriro" ou "dombo", le caillou en langue shona, fait des ravages. "Le crystal meth est peut-être la seule substance qui a rivalisé avec la pandémie en termes de vies perdues au Zimbabwe ces deux dernières années", faisait récemment remarquer un chroniqueur du Sunday Mail, un journal d'État.
Les autorités sont conscientes de la crise qui frappe surtout les banlieues densément peuplées et pauvres.
Le président Emmerson Mnangagwa a mis en garde contre les "tendances inacceptables" qui menacent "le sort de notre jeunesse" et a insisté sur la nécessité urgente de "redoubler notre lutte collective contre ce nouveau phénomène".
En attendant, les morts s'accumulent.
"On nous signale que des jeunes ont succombé à des overdoses", dit Tinashe Chiweshe, chargé de la sensibilisation au sein du Réseau des libertés civiles et des drogues, qui organise régulièrement des séances de soutien pour aider les consommateurs à décrocher.
Le musicien et ex-toxico Mega Jani, star locale, a formé un groupe, Mubatirapamwe (Travailler ensemble, en shona), avec sa fratrie pour mobiliser contre la drogue.
"Toute une génération est en train d'être anéantie" par la drogue, déplore Savannah Madamombe, la sœur de Jani, qui, aux côtés du musicien, circule dans les points chauds de la drogue pour décourager sa consommation.
Des Zimbabwéens inquiets publient sur les réseaux sociaux des vidéos de jeunes drogués qui se comportent mal en public.
À Mbare, le plus vieux township de la capitale, Diana Kaera, militante antidrogue, raconte que des enfants de 14 ans à peine, filles comme garçons, goûtent déjà au crystal meth.