La pression conjuguée de l'armée, de son propre parti et de la rue aura eu raison de l'obstination du président zimbabwéen, 93 ans, qui a remis mardi sa démission, lors d'une session extraordinaire du Parlement.
Selon les analystes, c'est sa volonté, à l'image de nombre de ses pairs africains, de prolonger son règne par une succession familiale, qui a scellé le sort de cet homme, qui avait pourtant survécu depuis 37 ans à tous les complots ou défis électoraux.
"Son erreur fatale a été de limoger son vice-président", Emmerson Mnangagwa, pour faire la place à la Première dame, Grace Mugabe, estime Gilles Yabi, directeur de Wathi, un think-tank ouest-africain basé à Dakar.
L'éviction de ce pilier du régime, héros de la "libération" du Zimbabwe, a provoqué l'intervention de l'armée, qui contrôle le pays depuis une semaine, une "révolution de palais", selon l'expert.
Robert Mugabe, "caricature du chef de l'Etat sénile", a franchi une "ligne rouge" en tentant de léguer le pouvoir à son épouse, contrariant les plans d'autres factions du pouvoir, confirme sous le couvert de l'anonymat un responsable d'une ONG de défense des droits de l'Homme.
L'alternance au sommet de l'Etat "ne signifie pas forcément plus de démocratie", précise Rinaldo Depagne, responsable pour l'Afrique de l'Ouest du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG).
Car les changements de dirigeant "peuvent résulter d'entourages ou d'institutions (parti, armée...) qui veulent préserver leur part du pouvoir, ou sont mécontents du partage de l'héritage du père fondateur", détaille l'analyste.
- 'Instrumentalisation du peuple' -
Qu'Emmerson Mnangagwa arrive au pouvoir, plutôt que Grace Mugabe, ne va pas nécessairement "changer grand-chose pour les Zimbabwéens", prévient Mathias Hounkpe, responsable de la gouvernance politique à la fondation Osiwa (Open Society Initiative for West Africa).
"Les militaires ne veulent pas que leur action soit perçue comme un coup d'Etat" et se sont donc notamment appuyés sur la rue, remarque-t-il, y voyant une "instrumentalisation", qui pourrait néanmoins "ouvrir une brèche en faisant prendre conscience au peuple qu'il constitue une force, à condition de s'organiser".
De l'empereur éthiopien Haïlé Sélassié, destitué en 1974 après 44 ans de règne, au Burkinabè Blaise Compaoré, balayé en 2015 par un soulèvement populaire après 27 ans, l'Afrique a connu son lot de potentats apparemment inamovibles tombés subitement de leur piédestal.
Mais le rythme s'accélère, soulignent les experts. "Le chef qui dure 30 ou 40 ans, c'est quelque chose de moins en moins accepté en Afrique", constate Rinaldo Depagne, de l'ICG.
Pour Gilles Yabi, la fin de Mugabe "peut constituer le signal, pour des dirigeants âgés et au pouvoir depuis très longtemps, qu'il vaut peut-être mieux partir volontairement".
L'échec de cette succession patrimoniale devrait faire réfléchir au Gabon, où Ali Bongo Ondimba (fils de feu le président Omar Bongo) est accusé de dérive "monarchique", ou au Togo, où les manifestants défient le régime de Faure Gnassingbé, qui a également succédé à son père, Gnassingbé Eyadéma, arrivé au pouvoir il y a 50 ans, soulignent les experts.
Et la semaine dernière, en Angola, le président Joao Lourenço, successeur de José Eduardo dos Santos, qui a passé la main en septembre après 38 ans, a limogé la fille de celui-ci de la direction de la compagnie pétrolière nationale.
Le départ de Robert Mugabe retire en tout cas une épine du pied des dirigeants africains, embarrassés à la fois par le scénario de son éviction et la personnalité controversée sur le continent du père de l'indépendance du Zimbabwe.
Si le chef de l'Etat guinéen Alpha Condé a exigé "le rétablissement de l'ordre constitutionnel", comme le lui imposait son statut de président en exercice de l'Union africaine (UA), ses homologues sont restés prudents.
"La plupart des responsables ont semblé accepter l'idée qu'à son âge, Mugabe n'était plus capable d'assurer la direction du pays", souligne Mathias Hounkpe, mais sans pouvoir cautionner ouvertement un changement de régime inconstitutionnel "car ils pensent à eux-mêmes".
Selon Charles Laurie, analyste du cabinet de conseil Verisk Maplecroft, "l'obstination de Mugabe donne la mesure de la quasi impossibilité à lui retirer le pouvoir par les urnes depuis 37 ans".
Avec AFP