Le président sud-africain Jacob Zuma a remis vendredi le gouvernement au pas en limogeant son ministre des Finances et rival Pravin Gordhan, mais plongé le Congrès national africain (ANC) au pouvoir dans une crise qui menace son unité.
Après plusieurs jours de rumeurs et de tensions, le chef de l'Etat a annoncé dans la nuit un remaniement de grande ampleur, marqué par la nomination de dix ministres et autant de vice-ministres, pour la plupart considérés comme des fidèles.
Sans surprise, la principale victime en est Pravin Gordhan. Englué dans une longue liste de scandales politico-financiers, Jacob Zuma était depuis des mois en conflit ouvert avec son ministre, champion de la lutte contre-corruption.
-Limogeage "inacceptable", juge le vice-président juge-
Le vice-président sud-africain Cyril Ramaphose a jugé vendredi "inacceptable" le limogeage du ministre des Finances Pravin Gordhan dans le cadre du remaniement gouvernemental annoncé dans la nuit par le chef de l'Etat Jacob Zuma.
"J'ai fait connaître mon opinion, un certain nombre d'autres collègues et camarades ne sont pas satisfaits de cette situation", a déclaré devant la presse M. Ramaphosa, qui a qualifié le départ du ministre d'"inacceptable".
L’analyste David Zounmenou, basé à Pretoria, a indiqué à VOA Afrique que e limogeage de M. Gordhan va diviser davantage l’ANC.
Lundi, le chef de l'Etat avait brutalement rappelé son ministre en Afrique du Sud, alors qu'il entamait à peine une tournée de promotion auprès des investisseurs au Royaume-Uni, signalant que l'heure des comptes avait sonnée.
Le sort de M. Gordhan a depuis le début de la semaine fait l'objet d'un bras de fer tendu entre les principaux responsables de l'ANC, finalement remporté de force par le chef de l'Etat.
"Pour la première fois, les responsables (de l'ANC) n'ont pas pu se mettre d'accord ou accepter les changements", a commenté vendredi à la radio le secrétaire général du parti, Gwede Mantashe.
"Le président est venu avec une liste. Il a dit ‘vous pouvez commenter si vous voulez mais c'est ma décision’ ", a raconté M. Mantashe, "ce procédé m'a rendu nerveux et mal à l'aise".
Cette confidence étonnante a une nouvelle fois illustré les profondes fractures politiques qui déchirent l'ANC, au pouvoir depuis l'élection de Nelson Mandela en 1994.
En nette perte de vitesse depuis son revers aux élections locales de l'an dernier, le parti est écartelé entre les soutiens de Jacob Zuma, partisan d'une "transformation radicale" de l'économie en faveur de la majorité noire, et une aile plus modérée incarnée par M. Gordhan et le vice-président Cyril Ramaphosa.
Ces divergences sont exacerbées par la course engagée pour la succession de M. Zuma, qui doit quitter la présidence de l'ANC en décembre dans la perspective des élections générales de 2019.
- 'Mauvaise nouvelle' -
Le chef de l'Etat soutient son ex-épouse Nkosazana Dlamini-Zuma face à l'autre favori, Cyril Ramaphosa.
"Ce remaniement marque clairement la volonté de Zuma de promouvoir la candidature de son ex-femme", a commenté à l'AFP l'analyste politique Susan Booysen, de l'université Witwatersrand.
"Zuma est persuadé de pouvoir avoir le dessus sur ceux qui le contestent au sein de l'ANC", a renchéri l'économiste Peter Attar Montalto, de la banque Nomura.
Le renvoi de Pravin Gordhan a provoqué la colère de l'opposition, qui y voit la volonté du président de renforcer son contrôle sur les finances du pays. Le portefeuille des Finances a été attribué à un proche, le ministre de l'Intérieur Malusi Gigaba.
M. Zuma est mis en cause dans plusieurs scandales de corruption qui impliquent notamment la sulfureuse famille Gupta.
"Zuma a obtenu ce qu'il voulait, un allié qui contrôle" le Trésor, a déploré à l'AFP le chef du groupe parlementaire de l'Alliance démocratique (DA, opposition), John Steenhuisen. "Mauvaise nouvelle pour notre pays, pour l'économie et surtout pour les 9 millions de Sud-Africains au chômage", a-t-il ajouté.
Les marchés financiers ont immédiatement sanctionné le départ de Pravin Gordhan, respecté pour avoir tenu tant bien que mal les cordons d'une économie sud-africaine endettée et qui tourne au ralenti.
Le rand sud-africain a perdu jusqu'à 2,6% par rapport au dollar dans la matinée, en baisse de plus de 7% par rapport au billet vert depuis le début de la semaine.
Fin 2016, les trois grandes agences de notation financière ont accordé un sursis à l'Afrique du Sud en ne la dégradant pas dans la catégorie des investissements spéculatifs. Mais elles ont menacé de le faire en cas de persistance de l'agitation politique.
La DA a annoncé le dépôt au Parlement d'une énième motion de défiance contre M. Zuma, assimilant le remaniement à une "attaque contre notre Constitution et notre peuple".
Avec AFP