Ce 15e vendredi consécutif de manifestations réclamant un changement de régime politique coïncide avec le dernier du mois musulman de ramadan, durant lequel la mobilisation n'a pas faibli malgré la fatigue due au jeûne quotidien, du lever au coucher du soleil.
En début d'après-midi, les rues du centre d'Alger sont à nouveau noires de monde et l'imposant cortège s'étire dans plusieurs rues autour de la Grande Poste --point de ralliement des manifestations hebdomadaires depuis le premier vendredi de contestation le 22 février-- et jusqu'à la Place des Martyrs, à 1,5 km de là.
Impossible à évaluer en l'absence de décompte officiel, la foule semblait particulièrement nombreuse à Alger. Marqués par le décès en détention mardi d'un militant des droits humains, Kamel Eddine Fekhar, des manifestants lui rendent hommage dans leurs slogans et banderoles.
D'autres rassemblements de grande ampleur ont lieu à Oran, Constantine et Annaba, 2e, 3e et 4e villes du pays, selon des journalistes locaux.
"Pas d'élections avec le gang" au pouvoir, "Pas de dialogue avec le gang et le pouvoir", martèlent les manifestants, qualifiant d'"issaba" ("gang") les dirigeants de l'appareil toujours en place, hérité de la présidence d'Abdelaziz Bouteflika, contraint le 2 avril à la démission par la rue.
"Honte"
Massivement rejetée par les manifestants et sans candidat sérieux déclaré, la présidentielle prévue le 4 juillet pour élire son successeur apparaît de plus en plus compromise.
Devenu le véritable détenteur du pouvoir depuis le départ de M. Bouteflika, le chef d'état-major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah, a réclamé cette semaine des "concessions mutuelles" dans le cadre d'un "dialogue" dont il n'a pas défini les formes.
Sans évoquer la date du 4 juillet, il a continué de réclamer une présidentielle "dans les plus brefs délais".
Le Conseil constitutionnel doit se prononcer avant le 5 juin sur la validité des deux seuls dossiers de candidature déposés pour la présidentielle, mais il semble peu probable qu'ils remplissent les conditions requises, notamment les 600 parrainages d'élus ou les 60.000 d'électeurs.
Le scrutin a pour seul objectif le maintien du "système" au pouvoir, estime le mouvement de contestation inédit qui réclame au préalable le départ de tous les dirigeants actuels ayant participé au régime de M. Bouteflika, dont le général Gaïd Salah, chef de l'armée depuis 2004.
"Ni dialogue ni élections, mais une (Assemblée) constituante", pouvait-on lire sur une pancarte à Alger.
"Pouvoir assassin!", ont également scandé des manifestants, après une minute de silence à la mémoire de Kamel Eddine Fekhar, militant de la cause mozabite, une minorité berbérophone de la région du M'zab (centre).
"Quelle honte, l'Etat a tué Fekhar!", ont clamé des manifestants, dont beaucoup étaient coiffés de la calotte blanche traditionnelle mozabite.
Fekhar était en grève de la faim depuis son placement en détention préventive le 31 mars pour "atteintes aux institutions". Il avait auparavant purgé deux ans de prison (2015-2017) pour "atteinte à l'autorité de l'Etat".
Amnesty International a qualifié de "honte" pour l'Algérie la mort du militant, soulignant que son emprisonnement "arbitraire et illégal" était lié à ses seules publications les réseaux sociaux.
Arrestations
Les dizaines d'arrestations menées par la police dans la matinée à Alger, comme la semaine précédente, n'ont pas découragé les manifestants.
Presque tous les passants dans les rues encore peu animées ont été arrêtés, selon une journaliste de l'AFP ayant vu une cinquantaine de personnes, essentiellement des jeunes hommes, être interpellés sans raison apparente, et embarqués dans au moins quatre fourgons.
Les manifestations, pourtant strictement interdites à Alger depuis 2001, ont été jusqu'ici largement tolérées par la police, qui se contente habituellement de contenir le défilé dans un périmètre défini.
Des manifestants ont réussi à empêcher les policiers d'embarquer des contestataires et le ton est parfois monté entre les deux camps. Les arrestations se sont faites plus rares à mesure que la foule grossissait dans le centre-ville.