A l'aéroport parisien de Roissy, musulmans, juifs et chrétiens prient au même endroit

Sécurité à l'aéroport Roissy-Charles De Gaulle, Paris, France, le 17 avril 2016. A. (AP Photo/Francois Mori)

Une porte unique qui mène à une mosquée, une église et une synagogue ? C'est une réalité à l'aéroport parisien de Roissy, dans les "espaces de prière" où des aumôniers font vivre l'utopie d'un laboratoire interreligieux, jouant parfois les confidents éphémères pour passagers en partance.

En janvier dernier a été inauguré au terminal 2E de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle (CDG) un quatrième lieu de culte, le premier situé dans une zone de correspondances. "On a souvent des voyageurs pas rassurés, ils sont contents de pouvoir prier près de leur avion!", se félicite Moché Lewin, l'aumônier juif.

Derrière le pictogramme montrant un bonhomme agenouillé, une croix, un croissant de lune et une étoile de David guident le voyageur vers trois petites salles modulables, pour "pousser les murs" en fonction des fêtes religieuses. Dans l'église-temple et la synagogue, quelques chaises, un autel et un pupitre. Côté mosquée, des tapis multicolores. Au milieu, un bureau partagé par quatre comparses: un pasteur, un diacre, un rabbin et un imam.

En escale pour le Japon, Seydou, étudiant sénégalais, vient faire "deux prières, dont une en avance, car le vol va être long". "Dans beaucoup d'aéroports, on cherche, on cherche, mais il n'y a nulle part où prier", témoigne-t-il.

'C'est casher, donc halal !'

"A part Heathrow à Londres, qui est très bien doté, nous sommes au top", vante le pasteur, Pierre de Mareuil.

Que viennent chercher là, chaque jour, plusieurs centaines des 180.000 passagers qui transitent par CDG et des 90.000 salariés de la plateforme ? "L'apaisement, au moment de quitter une terre, un foyer. Et le dialogue, dans l'anonymat", répond l'imam, Hazem El Shafei.

A Roissy, le fidèle n'est souvent pas très regardant quant à l'obédience du confesseur. Pierre de Mareuil confie ainsi avoir récemment longuement écouté une salariée, musulmane. "Elle traversait une période délicate et voulait m'expliquer pourquoi je ne la voyais plus venir prier", raconte ce fan de musique metal.

Lors de la dernière fête juive de Pourim, le repas est tombé à l'heure de la prière musulmane. "J'ai dit aux gens, 'venez partager, c'est casher donc halal'. Ils sont venus", sourit le rabbin Lewin.

"Un tel brassage, c'est mieux que les grands ports de l'Antiquité", s'enflamme le diacre Yves de Brunhoff. Mais les quatre hommes de Dieu se veulent clairs: pas question de faire du "syncrétisme", il s'agit de promouvoir "le dialogue, le partage, la fraternité".

Quand, après l'agression d'un enseignant à Marseille (sud) en janvier 2016, un appel décrié à ne plus porter la kippa avait été lancé, le pasteur s'est ainsi promené pendant une semaine avec le couvre-chef juif, "par solidarité".

'Inch'Allah' dit le rabbin

Les quatre hommes disent partager des moments "très forts". Et, souvent, "très malheureux". 06h22 : Pierre de Mareuil se souvient parfaitement de l'heure à laquelle un SMS lui a annoncé, en mai 2016, le crash d'un vol Egyptair et le déclenchement de la cellule de crise, dont ils font partie intégrante.

Le grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui a commencé à officier à Roissy en 1994 - poste qu'il n'a jamais voulu quitter - ne compte plus les catastrophes aériennes. C'est d'ailleurs après le drame de Charm El-Cheikh en 2004 qu'il a suggéré la création d'un poste d'aumônier musulman, "avant même qu'il y en ait dans les armées".

Aux accidents aériens sont venus s'ajouter les attentats, et la crainte d'attentats, dans un lieu particulièrement sensible. Après les attaques de janvier 2015, une "prière commune" a été organisée. "C'était important, aussi, de montrer qu'on ne pouvait pas stigmatiser une partie de l'aéroport. Du jour au lendemain, certains musulmans, des salariés notamment, nous ont dit +On ne nous dit plus bonjour, on nous regarde comme des terroristes+", se souvient le rabbin Lewin.

"Je ne sais pas comment, mais il faudrait créer des espaces comme les nôtres dans les villes, les entreprises", dit Yves de Brunhoff. "J'espère qu'avant de mourir, je verrai cette expérience étendue ailleurs", abonde Hazem El Shafei. Et le rabbin de conclure : "Inch'Allah".

Avec AFP