Les agressions de Cologne alimentent le débat sur le viol en Allemagne

L' artiste Milo Moire tient une pancarte avec ecrit "respectez-nous !" a Cologne en Allemagne (AP Photo/Dorothee Thiesing)

Largement impunies faute de suspects, les agressions sexuelles du Nouvel An 2016 à Cologne s'invitent dans le débat politique en Allemagne déjà tumultueux sur la répression du viol, sous l'oeil méfiant des juristes.

"Réagir à chaud sur des questions touchant aux moeurs est toujours dangereux, surtout quand les problèmes pratiques sont ailleurs", indique à l'AFP Andrej Umansky, spécialiste de droit pénal à l'université de Cologne.

Une poignée d'arrestations pour des centaines de plaintes: pour le volet sexuel des violences de la Saint-Sylvestre, accompagnées de nombreux vols, l'enquête achoppe sur la difficulté d'identifier les agresseurs.

Mais cette vague de violences principalement attribuées à des migrants a fait réagir toute la classe politique, entraînant un durcissement de la loi sur l'asile pour faciliter l'expulsion de délinquants étrangers.

L'affaire a aussi réactivé un projet de loi, en sommeil depuis l'automne 2014, destiné à renforcer l'arsenal allemand contre le viol, moins protecteur que dans la plupart des pays occidentaux.

"Nous devons tout faire pour mieux protéger les femmes des agressions sexuelles", a martelé mercredi le ministre de la Justice Heiko Maas, se réjouissant de l'adoption de son projet de loi en conseil des ministres.

- Punir la 'foule' -

Il s'agit à ses yeux d'élargir la définition du viol, jusqu'alors cantonnée aux relations sexuelles obtenues "par la violence, par une menace portant sur la vie ou l'intégrité corporelle", ou lorsque la victime se trouve "privée de toute défense".

Son texte intègre les rapports sexuels avec une personne "incapable de résistance", englobant les viols par surprise et ceux dans lesquels la victime est tétanisée par la peur de représailles.

Mais le texte, soumis à approbation parlementaire, ne va pas assez loin au goût du parti conservateur d'Angela Merkel, qui a réclamé mardi un amendement inspiré par les agressions de Cologne.

Tout participant à une "foule qui agresse ou pelote" - une notion inconnue du code pénal allemand - serait punissable même "lorsqu'aucun geste individuel ne peut être retenu contre lui", demande le groupe parlementaire CDU-CSU.

En germe depuis deux mois, cette proposition faisait bondir dès janvier un juge de la Cour fédérale, Thomas Fischer, raillant le concept de "harcèlement organisé par des groupes désorganisés", à ses yeux inapplicable.

"C'est tellement flou que ça relève de la communication politique", renchérit Andrej Umansky, à qui cette incrimination rappelle le délit de "hooliganisme" en ex-RDA, "très pratique pour arrêter les jeunes qui traînaient dans la rue".

- 'Paternalisme' d'Etat ? -

"On ne doit pas arriver à ça", insiste-t-il, pointant le risque d'un "droit pénal symbolique" source d'innombrables difficultés pratiques.

Or le débat sur le viol était déjà "ancien, politique et très violent même chez les juristes" avant les événements de Cologne, rappelle M. Umansky.

Première difficulté: trouver un équilibre entre une définition "idéale" du viol, intégrant toutes les relations sexuelles non consenties, et les exigences de preuve lorsque les juges doivent trancher entre deux versions.

Dans une chronique dans Die Zeit, Thomas Fischer redoutait l'an dernier que les procès ne tournent en "bataille d'experts sur la crédibilité de chacun", au risque de multiplier les erreurs judiciaires.

Mais sur le fond, le même Fischer contestait aussi qu'il y ait viol quand la plaignante "n'a pas cherché à se défendre", y voyant un "paternalisme d'Etat" protégeant les femmes "comme des enfants ou des malades mentaux".

"Les réactions de nombreuses femmes à une agression sexuelle sont visiblement difficiles à comprendre pour les hommes", lui avait rétorqué la député verte Renate Künast, présidente de la commission des lois du Bundestag, évoquant la vulnérabilité particulière qu'implique l'infériorité physique.

Pour Andrej Umansky, "il faudrait travailler avec des juristes mais aussi des psychologues, des sociologues et d'autres experts. Les délits sexuels ont besoin d'une réforme, mais pas à la va-vite".

Avec AFP