"Chicha-abana!", "la chicha c'est fini", s'exclame en riant Bilal en bambara devant son épicerie de Bamako. L'annonce inattendue de l'interdiction du narguilé divise les Maliens entre défenseurs de la santé publique et amateurs d'une distraction appréciée des jeunes. Les bars où de jeunes hommes surtout se délassent et s'embrument l'esprit en tirant sur la pipe à eau ont fleuri ces dernières années à Bamako, capitale d'un pays rongé depuis dix ans par la propagation jihadiste et la violence.
Le Mali est un pays dans son immense majorité musulman et les interprétations de l'islam ne sont généralement pas favorables à la chicha comme à la cigarette. Mais c'est aussi un pays laïc qui tolère l'alcool par exemple, même si la consommation en est limitée à certains lieux publics et que la majorité des débits et restaurants n'en servent pas.
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Aussi l'arrêté pris le 15 août par le gouvernement sans information préalable en a-t-il pris de court beaucoup, d'autant que la junte au pouvoir depuis 2020 ne s'était pas spécialement signalée par de tels actes de prohibition. Le texte cosigné par six ministères, dont la Sécurité, la Santé et la Jeunesse, "interdit l'importation, la distribution, la vente et l'usage de la chicha (narguilé) ou tout appareil similaire sur toute l'étendue du territoire national".
Les consommateurs seront punis "d'une peine d'emprisonnement de un à dix jours et d'une amende de 300 à 10.000 francs" (0,5 à 15 EUR). Les bars à chicha ont six mois pour fermer.
Les autorités n'ont pas motivé cette mesure. Mais dans son magasin du centre de Bamako, Abdramane Daff peste en montrant toutes ses chichas à vendre sur les étals. "Nous ne pouvons pas vendre toutes ces marchandises en six mois, c'est impossible !" "Nous supplions (les autorités) de chercher une autre solution. S'ils pouvaient se limiter à l'interdiction de la consommation dans les rues en épargnant la vente, peut-être...", dit-il.
Question d'urgence
Côté consommateur, on s'interroge sur la capacité des autorités à appliquer le décret: "Est-ce possible d'arrêter définitivement la consommation de chicha ?", s'interroge un fumeur occasionnel sous couvert d'anonymat. Des mesures comme la fermeture des restaurants durant la pandémie de Covid-19 ont été suivies de peu d'effets dans un pays où de nombreux commerces sont informels et les moyens de maintien de l'ordre limités.
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Sur les réseaux sociaux ou au grin, lieu de discussion improvisé autour d'un thé dans les ruelles de terre, la nouvelle a été plutôt bien accueillie. "Merci pour l'interdiction de la chicha au Mali, je pense qu'il faudrait maintenant interdire la cigarette puisque c'est aussi une drogue!", a posté Abdoul Karim Maïga sur Twitter.
"Je pense que le décret est très important", dit à l'AFP Ousmane Touré, un représentant de l'association des victimes du tabac. "En termes de mortalité et de maladie, si on prenait en compte la chicha et le tabac, on verrait que franchement c'est mieux d'arrêter", dit-il. Salif Koné, tabacologue, invoque une étude conduite dans des écoles de Bamako et montrant "qu'à peu près 70% des jeunes consomment de la chicha".
Un groupe de travail de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) mettait en garde en 2017 contre la dangerosité du narguilé, de une à dix fois plus nocif que la cigarette et qui ne fait pas l'objet des mêmes campagnes de sensibilisation que le tabac. C'est "à nous les médecins, nous les parents de ces enfants, de conjuguer nos efforts à ceux du gouvernement pour (leur faire) arrêter la consommation de la chicha", exorte Salif Koné.
Des pays comme l'Arabie saoudite et le Liban ont taxé la consommation de chicha. D'autres comme la Jordanie et le Cameroun l'ont interdite.
Au Mali, où l'espace de libre parole s'est réduit comme peau de chagrin depuis 2020, peu de voix critiques se sont élevées en dehors des gérants de bar à chicha. "Est-ce que c'était le plus urgent alors que notre pays est en proie à une crise multidimensionnelle ?", demande quand même un chercheur en sciences sociales sous le couvert de l'anonymat.