Au Soudan, cinquième jour consécutif de sit-in contre le pouvoir militaire

Les gens défilent lors d'une manifestation contre le régime militaire dans la région de Bashdar du district d'el-Diam à Khartoum, la capitale du Soudan, le 16 juin 2022.

Des centaines de Soudanais maintiennent lundi pour le cinquième jour d'affilée leurs sit-in à Khartoum et ses banlieues, décidés à en finir avec le pouvoir militaire et sa répression qui a déjà fait plus de 110 morts.

Si depuis le putsch le 25 octobre 2021 du chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, les prodémocratie manifestent chaque semaine, leur mouvement qui s'était essoufflé il y a plusieurs mois a semblé repartir jeudi. Ce jour-là – anniversaire symbolique d'un autre coup d'Etat, celui d'Omar el-Béchir, et de la "révolution" qui le renversa – des dizaines de milliers de Soudanais ont manifesté.

Face à eux, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles. Bilan: neuf manifestants tués, des centaines de blessés et autant d'arrestations, selon des médecins prodémocratie qui recensent depuis octobre 114 morts et des milliers de blessés.

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Jeudi a été la journée la plus meurtrière de l'année et ce déchaînement de violence a déclenché ce que plusieurs manifestants ont décrit à l'AFP comme un mouvement "spontané". Lundi, un manifestant affirme ainsi avoir rejoint le sit-in pour "montrer que la rue est toujours là, malgré tous les frères et les amis que nous avons perdus".

"Un mois ou un an"

"On restera jusqu'à ce que le régime tombe, qu'on obtienne justice pour ceux qui ont été tués ou blessés", poursuit-il, en refusant de donner son nom. "Je vais participer à ce sit-in jusqu'à ce qu'on nous dise de lever le camp, que cela prenne un mois ou un an, même deux ans".

Depuis vendredi, les manifestants ne quittent plus leurs trois sit-in à Khartoum, dans sa banlieue nord-ouest Omdourman et dans sa banlieue nord-est Khartoum-Nord. S'ils ont choisi trois points différents, c'est en raison du blocage régulier par les forces de sécurité des ponts qui relient la capitale à chacune de ses banlieues, empêchant un rassemblement massif dans un seul endroit.

Décidés à durcir leur bras de fer avec les généraux qui tiennent désormais seuls le pouvoir et dominent de longue date l'économie, les Forces pour la liberté et le changement (FLC), colonne vertébrale du gouvernement civil limogé lors du putsch, ont appelé à "une coordination unifiée" des sit-in et des manifestations "partout au Soudan".

Alors que la désobéissance civile a déjà bloqué le pays plusieurs jours après le coup d'Etat, le syndicat des médecins soudanais a annoncé entamer mardi une grève de 72 heures. Quant au "dialogue national" que réclament depuis des mois l'ONU et les capitales étrangères, les civils ont dit ne plus en être.

Dimanche soir, Yasser Arman, cadre des FLC, a estimé que "les balles qui ont fauché les manifestants ont fauché le processus politique". "Nous n'avons pas d'interlocuteur", a-t-il martelé alors que les militaires ne cessent de se dire prêts au dialogue tout en réclamant aussitôt des "concessions" aux civils.

Critiques à l'étranger

La rue, elle, n'a qu'un slogan depuis avant même le putsch: "ni partenariat, ni négociation" avec des généraux, qui ont trahi les civils, selon ces derniers, avant même que la quasi-totalité du gouvernement civil ne soit arrêtée le jour du coup d'Etat. Après la "révolution" qui renversa Béchir en 2019, militaires et civils avaient accepté de mener ensemble le pays vers ses premières élections libres après 30 années de dictature militaro-islamiste.

Quand le putsch a brisé cette alliance, la communauté internationale a fermé le robinet de l'aide, espérant faire plier les militaires. Mais ceux-ci, d'anciens commandants de Béchir, ont déjà survécu à des décennies d'embargo international sous la dictature et se montrent inflexibles. L'économie, en revanche, déjà à genoux, ne cesse de plonger un peu plus, entre dévaluation exponentielle et inflation à plus de 200% chaque mois.

Les neuf morts de jeudi ont provoqué une levée de boucliers à l'étranger qui pointait du doigt "l'impunité des forces de sécurité", poussant la justice soudanaise à ordonner dimanche une enquête. Encore loin de ce que réclamait la haute-commissaire aux droits humains des Nations unies, Michelle Bachelet, qui avait demandé une "enquête indépendante".