Au plus fort des combats au Tigré, Asafu Alamaya, aveugle et fragile, a supplié ses filles de fuir avec leurs enfants au Soudan voisin et de la laisser mourir chez elle.
Mais hors de question pour elles d'abandonner leur mère âgée de 80 ans dans leur ville natale d'Humera, au Tigré, en Ethiopie, où les forces fédérales ont mené une opération meurtrière pour chasser les dirigeants de la région, issus du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
Dans leur fuite sous les bombes, elles se sont relayées avec d'autres réfugiés pour la tenir par la main ou la porter quand elle tombait, jusqu'à la rivière Sitet séparant l'Ethiopie du Soudan, qu'elles ont traversée ensemble.
Asafu Alamaya, qui a perdu la vue il y a cinq ans, vit aujourd'hui dans un abri de fortune fait de bâches en plastique et de bois, dans le camp de réfugiés d'Oum Raquba, dans l'est du Soudan, frontalier du Tigré dans le nord éthiopien.
Chaque jour elle pleure car, dans sa maison où elle veut retourner malgré son âge et son état, elle se sentait, dit-elle, en sécurité.
"Le trajet a été très difficile. Mais mes enfants m'ont aidée, ils m'ont portée jusqu'ici", raconte l'octogénaire, vêtue d'une robe blanche et marron.
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Vivre ou mourir ensemble
Il y a quarante ans, c'est elle qui avait tenu par la main ses filles jusqu'à Oum Raquba pour fuir alors la famine en Ethiopie.
Dans ce camp tentaculaire et insalubre qui accueille aujourd'hui 15.000 réfugiés venus du Tigré depuis novembre, elle dépend totalement de ses enfants.
"A mon âge, je ne devrais pas être ici. Je suis juste en train de fatiguer mes enfants. Si j'étais à la maison, je n'aurais besoin de personne", dit-elle à l'AFP en finissant son repas.
Sa fille, Sandayo Saggai, 47 ans et mère de sept enfants, est assise à ses côtés.
"C'est notre mère. Elle nous a allaitées, elle nous a élevées. Nous ne pouvions pas la laisser. Nous nous sommes dit: si elle arrive à destination, tant mieux, si elle meurt sur la route, nous ses enfants, l'enterrerons en chemin. Soit nous vivons ensemble, soit nous mourons ensemble", raconte-t-elle.
Selon l'ONU, environ 4% des plus de 50.000 personnes ayant fui le Tigré ont plus de 60 ans.
Certaines, âgées de plus de 70 ans, sont arrivées seules après avoir perdu la trace de leurs proches.
A Oum Raquba, c'est un véritable calvaire pour les personnes âgées comme Walagabriel Sium, agriculteur de 73 ans, de faire la queue pour obtenir de la nourriture et de l'eau.
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"J'avais tout"
Les habitations de fortune étant conçues pour les familles, ceux qui, comme Walagabriel Sium, sont arrivés sans leurs proches, n'obtiennent pas automatiquement un abri.
"Tout ce que je veux, c'est un matelas pour dormir et de l'eau à boire."
Depuis son arrivée, il cherche désespérément ses enfants à qui il "n'arrête pas de penser" et qu'il ne peut contacter. Les communications au Tigré ont été coupées pendant des semaines.
"Je n'aurais jamais imaginé que je finirais comme ça. J'avais tout chez moi", se lamente-t-il après avoir dormi 17 nuits sur le sol, à la belle étoile, sans couverture.
Dans une clinique du camp, Amir Yehya, infirmier du groupe humanitaire Mercy Corps, affirme que les personnes âgées ont besoin de "plus de soins" et "les conditions sont très difficiles" surtout qu'il fait froid maintenant la nuit.
Elles ont en plus difficilement accès aux médicaments "surtout pour les maladies chroniques comme l'hypertension ou le diabète", dit-il.
Le directeur du camp, Abdel Basset Abdel Ghani, assure à l'AFP que les autorités soudanaises prévoient de construire un abri pour les réfugiés âgés qui arrivent seuls.
Assise sur le sol, Arrafu Mbaye, 70 ans, tisonne les braises d'un feu utilisé pour la cuisine.
Elle est arrivée avec son fils qui n'a pas de nouvelles de sa femme et de ses enfants.
Folle d'inquiétude pour ses petits-enfants, elle cherche du réconfort dans la prière.
"À mon âge, je ne devrais pas avoir à courir ou traverser une rivière. Je devrais prier dans mon église. Mais je dois accepter la volonté de Dieu", se désole-t-elle, un chapelet en bois autour du cou.
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