Au Zimbabwe, des voix courageuses s'élèvent contre le tout puissant Mugabe

Des partisans de Itai Dzamara protestent dans les rues un an après sa disparition à Harare, Zimbabwe, le 9 mars 2016.

Des voix courageuses s'élèvent au Zimbabwe contre le régime autoritaire, nourries de la colère qui affleure dans le pays, où l'opposition politique est éreintée par le harcèlement et la répression constante orchestrés par Robert Mugabe, 92 ans et au pouvoir depuis 1980.

L'économie du Zimbabwe est en crise depuis plus d'une décennie et la situation alimentaire préoccupante en raison d'une forte sécheresse. Aux dernières élections de 2013, contestées, l'opposition avait péniblement recueilli un tiers des voix.

Dans ce climat morose, le pasteur Evan Mawarire a émergé ces dernières semaines comme un héros national, après avoir lancé sa campagne "CeDrapeau", devenue un improbable exutoire pour de nombreux Zimbabwéens frustrés.

Deux jours après un meeting en avril où le président Mugabe s'était vanté de ses succès, Ewan Mawarire ulcéré a posté une vidéo sur Facebook: il y dénonce la corruption de l'Etat et l'incapacité du gouvernement à fournir les services de base.

La vidéo, où Evan Mawarire est enveloppé dans un drapeau zimbabwéen, a fait un tabac, avec plus de 100.000 vues, et déclenché une vague d'activisme sur la toile dans un pays où toute dissidence peut être dangereuse.

"J'ai demandé à autant de Zimbabwéens que possible de porter le drapeau national pour faire comprendre à notre gouvernement que +trop c'est trop+", explique à l'AFP Evan Mawarire.

"C'est comme ça que le changement politique va se produire", assure-t-il.

Quelques citoyens arborent le drapeau zimbabwéen sur leur véhicule, d'autres l'affichent sur les réseaux sociaux. L'impact de la campagne reste relativement faible, mais elle désarçonne le gouvernement. Le choix de son symbole - le drapeau national - en a fait une cible difficile à attaquer.

Deux ministres ont du coup décidé de s'en prendre à Ewan Mawarire lui-même, affirmant qu'il est lié aux pouvoirs occidentaux soupçonnés de comploter pour renverser Robert Mugabe. Le ministre de l'Education supérieure, Jonathan Moyo, a lancé une contre-campagne, baptisée #NotreDrapeau et destinée à discréditer le pasteur.

Ewan Mawarire, 39 ans, qui se décrit comme "un simple gars aimant s'exprimer", ne cache pas ses inquiétudes. "J'ai peur d'être battu, blessé ou enlevé", confie-t-il.

Manifestations en solo

Sylvanos Mudzvova, un acteur proche de l'opposant Itai Dzamara porté disparu depuis un an, ne sait que trop bien les risques encourus quand on élève la voix au Zimbabwe.

Il a été agressé par des assaillants non identifiés en 2013, après avoir écrit et mis en scène une pièce de théâtre sur le printemps arabe. Une histoire de Zimbabwéens déçus dont un fermier, un vendeur des rues et un garagiste qui planifiaient leur "printemps arabe" sur une place d'Harare.

Trois ans plus tard, Sylvanos Mudzvova continue à boiter. Sa jambe gauche est toujours paralysée.

En avril, il a brièvement été détenu par la police après un spectacle devant le parlement pour dénoncer la corruption.

"Le gouvernement a de nombreux problèmes à résoudre. Nous ne devrions pas nous enfermer dans le silence", affirme Sylvanos Mudzvova à l'AFP, avant de monter sur scène à l'Alliance française d'Harare pour un spectacle sur les accords commerciaux opaques dans l'industrie minière.

Pour éviter l'arrestation, il propose des shows dits "délits de fuite". Le concept est simple: se produire, sans prévenir, dans des centres commerciaux ou des marchés, laissant le public médusé par les sujets qu'il ose aborder.

La répression d'Etat n'a pas non plus dissuadé Patrick Mugadza, un autre ecclésiastique, adepte des "manifestations solo".

Les autorités l'ont détenu deux semaines l'an dernier pour avoir brandi une affiche "M. le président, le peuple souffre", devant la conférence annuelle du parti Zanu-PF au pouvoir.

Pas découragé, Mugadza a donné le mois dernier un sermon, en étant enchaîné à un lampadaire à Harare. "Tant que nous ne nous mettons pas debout et ne demandons pas notre liberté, notre nation saignera jusqu'à la mort", a-t-il lancé.

Ces manifestations à titre individuel représentent une faible menace pour Robert Mugabe, qui gouverne d'une main de fer son pays.

Mais elles offrent des lueurs d'espoir à de nombreux Zimbabwéens avides de changement. "C'est une lame de fond", estime Ibbo Mandaza, à la tête de l'institut Southern African Political and Economic Series basé à Harare. "Cela peut devenir sérieux dans un contexte économique qui se dégrade. Tout peut se produire".

Avec AFP