Lui dit avoir exercé son droit de citoyen en participant aux législatives de mardi, les deuxièmes en moins de six mois, le premier scrutin n'ayant accouché d'aucune coalition gouvernementale.
A l'instar des quelque 250.000 Bédouins du désert du Néguev (sud), il appartient à la minorité des Arabes israéliens, descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d'Israël en 1948. Ceux-ci, qui représentent environ 20% des neuf millions d'habitants du pays, dénoncent des discriminations par rapport à la majorité juive.
Assis droit sur sa chaise en plastique, au milieu d'un terrain vague où survivent de maigres arbres récemment plantés, le cheikh est le chef d'un village "illégal" dans le Néguev, zone désertique du sud d'Israël où vit la grande majorité des Bédouins du pays, descendants de langue arabe des nomades du désert.
Comme 34 autres villages de la région, le hameau d'Al-Araqib, n'est pas reconnu par l'Etat israélien. Pas d'accès à l'eau, pas d'école, de transport...
D'Al-Araqib, il ne reste que des abris de fortune adossés aux voitures et camionnettes des habitants, dans le cimetière. Le village a été détruit "161 fois", raconte le notable, retroussant sa longue tunique.
Vingt-deux familles résistent dont celle du cheikh, né sur place.
"Avec les morts"
Les Bédouins du Néguev vivent en marge de la société israélienne, souvent dans une grande pauvreté. Ils se plaignent des démolitions répétées de leurs villages par les autorités, de transferts forcés et de spoliation de leurs terres qu'ils refusent de quitter.
Les autorités israéliennes dénoncent pour leur part des constructions anarchiques, l'absence de titres de propriété et le souci d'améliorer les conditions de vie des Bédouins.
"Le gouvernement actuel est extrémiste et criminel", juge le cheikh Sayiah Al-Turi, 70 ans, qui dénonce un "Etat d'occupation" et a voté mardi contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
"Je n'attends rien de bien de ce pays, il est raciste. Je ne crois qu'en Dieu pour changer les choses", affirme le cheikh qui a pourtant voté.
Sa cousine Hakma a elle aussi voté. "J'ai l'espoir qu'il y ait un changement, pas uniquement pour moi, mais pour tous les bédouins du Néguev", dit-elle, montrant un réchaud de gaz à même le sol et des casseroles rangées dans un "placard" improvisé avec un frigo débranché.
"Regardez où je cuisine! Un jour je dors dans la maison, un jour dans le camion, un autre dans le cimetière", poursuit la petite femme vêtue de noir. "On partage l'électricité avec les morts", déplore la mère de neuf enfants.
"Démocratie bidon"
Dans la ville d'à côté, à Shaqef as-Salam, une foule s'agglutine sous les parasols de fortune, pour s'enregistrer pour le vote. A l'écart des regards, des hommes distribuent discrètement des bulletins de vote pour la "Liste unie" des partis arabes.
Saba, dissimulée sous un niqab noir comme la plupart des femmes autour d'elle, vote à chaque élection. "C'est mon droit, je suis citoyenne comme les autres", martèle-t-elle.
Mardi, elle est venue par ses propres moyens, depuis l'un des rares villages bédouins reconnus par Israël, Bir Haddaj. Une heure et demie de route pour glisser son bulletin dans l'urne, précise-t-elle.
Les associations dénoncent une volonté de limiter la participation des Bédouins. Dimanche, le Comité central pour les élections a interdit à l'organisation israélienne Zazim ("on bouge"), d'affréter des bus pour acheminer les habitants arabes les plus éloignés jusqu'aux urnes.
Assis sur le trottoir devant l'école transformée en bureau de vote, Bassel Zaanoun vote "pour qu'ils arrêtent de démolir nos maisons".
Sa maison a été démolie deux fois. "Pour l'instant, on habite dans une bicoque de fortune", lance celui qui a encore une tête de gamin, perdu au milieu du brouhaha.
Selon l'ONG Neguev Coexistence Forum for Civil Equality, 2.326 ordres de démolition ont été exécutés l'an dernier, dont plus de 600 pour des logements. Et, dans 88% des cas, ce sont les propriétaires qui sont contraints d'y procéder.
A Al-Araqib, "Docteur Awad" secoue la tête quand le cheikh parle des élections. "Je ne vote pas. Jamais", proteste le professeur d'université, lunettes de soleil dissimulant son regard. "Où sont les députés arabes?", dit-il, pointant l'emplacement du village désormais vide.
"Ils n'ont pas pu empêcher ne serait-ce qu'une démolition". "C'est une démocratie bidon", lâche-t-il avec mépris. "Je ne vais pas donner ma voix pour les légitimer".