Avoir ses règles et rester à l'école: l'Ethiopie relève le défi

Des jeunes filles coiffées de "locks" aux couleurs de rasta assises a la place Meskel a Addis Abeba, Ethiopie, 6 février 2005.

Il est une classe à l'école primaire de Sheno, ville rurale du centre de l'Ethiopie, où des adolescents mènent la vie dure à un des plus vieux tabous du monde, à l'origine de nombreux décrochages scolaires dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique: la stigmatisation liée au fait d'avoir ses règles.

"Les menstruations sont un don de Dieu", proclame sans ambages un écriteau surmontant la porte d'entrée. Dans cette école, on inculque aux filles et garçons que cette manifestation physiologique de la puberté féminine ne justifie en aucun cas les moqueries et l'ostracisme.

"Nous leur apprenons que ce n'est pas une maladie, que c'est naturel et biologique", explique Tafesech Balemi, la professeure de biologie chargée du club de "gestion de l'hygiène menstruelle", fruit d'une collaboration entre le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) et les autorités éthiopiennes.

Des serviettes hygiéniques y sont également distribuées, dans ce pays où les adolescentes traversent souvent la puberté sans avoir les moyens d'en acheter, ou sans être éclairées sur les changements que subit leur corps.

Dans les zones rurales où le mariage précoce est courant et où certains croient que les règles sont provoquées par les rapports sexuels, une tache de sang accidentelle peut provoquer d'inlassables railleries à l'école.

Selon l'Unicef, seulement 54% des filles de ce pays de 100 millions d'habitants terminent l'enseignement primaire, dont un nombre important en raison de douleurs menstruelles ou de l'embarras des saignements.

A l'instar d'autres pays africains comme la Zambie ou le Kenya, l'Ethiopie a déclaré la guerre aux conceptions archaïques.

'Club des filles'

Yordanos Tesfaye, 14 ans, était "choquée et effrayée" lors de ses premières règles. "Je suis rentrée à la maison le dire à mon père, mais il ne pouvait pas se permettre financièrement de m'acheter une serviette", se souvient-elle.

"Je l'ai alors dit à une amie qui m'a suggéré d'utiliser un chiffon, mais je ne savais pas comment l'utiliser et il est tombé en pleine rue", raconte l'adolescente. "J'avais tellement honte."

Comme de nombreuses jeunes filles, elle a été tentée de quitter l'école, mais le soutien du "club des filles" (comme il est surnommé à l'école primaire de Sheno), ouvert aux adolescents de 11 ans et plus, l'a convaincue de rester.

"Il est absolument crucial de bien gérer cette (période) de la vie des filles, afin d'améliorer les performances académiques et de réduire les décrochages scolaires", argue Samuel Godfrey, responsable sanitaire de l'Unicef en Ethiopie.

Le programme a jusqu'à présent été mis en place dans 65 écoles du pays, avec succès.

Depuis son lancement en 2013 à l'école de Sheno, forte de 760 élèves, le décrochage en raison des règles a été progressivement éradiqué -- alors qu'en 2012 encore, 20 filles avaient quitté l'école, selon la direction.

En plus d'éduquer filles et garçons et de distribuer des serviettes hygiéniques en cas de besoin, Mme Balemi permet aux adolescentes de prendre une douche ou de s'allonger sur un matelas prévu à cet effet si elles en ressentent le besoin. Elle rencontre également les familles de certaines jeunes filles si elle soupçonne que leur absence en classe est due aux règles.

Narquois

Dans une autre école de la région, Hiwot Werka, 14 ans, se souvient avec horreur de ses premières règles. L'accusant d'avoir eu des rapports sexuels, sa mère lui avait interdit de quitter la maison et la battait lorsqu'elle tentait malgré tout d'aller à l'école.

Grâce à la visite de responsables sanitaires ayant expliqué la vraie cause des saignements, "ma mère a réalisé que les règles sont normales", assure la jeune fille, finalement autorisée à retourner s'instruire.

Mais le "club des filles" ne s'adresse pas qu'aux adolescentes. Les garçons font partie intégrante du programme car ils peuvent aider à combattre un des aspects les plus insidieux de ce tabou séculaire: les moqueries et la stigmatisation.

Yonas Nigussie, 14 ans, se souvient comment il raillait les filles qui tachaient leurs vêtements pendant leurs règles.

La sensibilisation a changé sa perception. Il assure désormais dire aux garçons narquois de se taire, et être plus attentionné. "Je me souviens quand ma soeur a eu ses premières règles, c'est moi qui lui ai apporté ses serviettes."

Avec AFP