"Je me demande si les joueurs africains ne sont pas maudits": l'attribution du Ballon d'Or 2019 a laissé un peu d'aigreur au Sénégal où on estime que Sadio Mané, quatrième, a peut-être payé sa discrétion, l'éparpillement des votes et, qui sait, sa couleur de peau.
"Je suis amer. Sadio a mieux travaillé que les autres", fait valoir Alcides Delgado, homme d'affaires sénégalais de 53 ans, après l'octroi du trophée à Lionel Messi devant deux stars africaines de Liverpool: le Sénégalais Mané à la quatrième place et l'Egyptien Mohamed Salah à la cinquième.
Début novembre, l'ex-attaquant vedette camerounais Samuel Eto'o avait déploré que les footballeurs africains ne soient "pas toujours appréciés à leur juste valeur". Le Libérien George Weah restera pour encore un an au moins le seul Africain à avoir décroché le trophée, en 1995.
Lire aussi : Lionel Messi remporte son 6e Ballon d'OrAu Bazoff, bar-resto plutôt chic de Dakar, une cinquantaine d'inconditionnels de Mané, casquettes et tee-shirts blancs à l'effigie du natif de la région de Casamance (sud), s'étaient donné rendez-vous pour vivre la retransmission de la cérémonie.
"Il est dans le Top 4, c'est déjà historique. Depuis Weah, il n'y a eu que Drogba, 4e en 2007", relève Moustapha Sadio, journaliste à la radio-télévision sénégalaise RTS.
'Trop de modestie'
Quelques minutes plus tard, le classement final -- Mané derrière Messi, Virgil van Dijk et Cristiano Ronaldo -- est accueilli à Dakar par quelques soupirs de déception, mais aussi par des applaudissements de fans qui visiblement ne se faisaient pas trop d'illusions.
Lire aussi : L'Américaine Megan Rapinoe remporte le Ballon d'Or 2019Sa relégation au second plan, en dépit du sacre des Reds en Ligue des Champions et d'une finale de la CAN avec le Sénégal, reste toutefois "très difficile à expliquer", dit Moustapha Sadio. "Il y a une dévalorisation du produit 'Made in Africa'. Pour l'emporter, un joueur africain devrait réaliser des miracles, gagner la C1, la Coupe du Monde, etc.", estime le journaliste.
"Sadio est quelqu'un de modeste, il n'est pas très présent sur les réseaux sociaux et il n'est pas 'bankable' (lucratif) pour les sponsors. Mais normalement, ça ne fait pas partie des critères", regrette-t-il.
Isidore Lopez, patron d'une société de divertissement de 35 ans qui "voyage beaucoup pour voir le foot", exprime carrément son "dégoût".
"Je commence à croire que c'est une réalité. Sadio est Africain et il termine 4e", dit-il quand on l'interroge sur une possible discrimination.
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"On ne peut pas évoquer le racisme, mais seulement du favoritisme", tempère à l'AFP El-Hadji Diouf, ex-star de Liverpool et ancienne figure de proue de l'équipe du Sénégal qui avait battu la France championne du monde en ouverture du Mondial-2002.
"Etre un footballeur africain, c'est bien sûr un handicap, les principaux décideurs et les médias influents n'étant pas du continent. Mais Messi le mérite largement. Sadio a fait une année exceptionnelle mais Messi, il est stratosphérique", ajoute l'ex-attaquant, joint par téléphone.
Ancien consultant sur Canal+, Aboubacry Ba pointe quant à lui le manque de solidarité des journalistes africains. Il n'y a "rien de raciste, mais si les votes africains allaient aux stars du continent, les choses seraient différentes", dit-il à l'AFP.
Lire aussi : Alisson Becker sacré meilleur gardien de l'année"Le Ballon d'Or ne se joue plus sur le terrain. Il faut le donner à un joueur qui vend, qui épate, mais pas seulement sur le terrain. Les votants africains n'ont pas compris que parfois il faut voter réaliste", souligne aussi le journaliste mauritanien Lassana Camara en se disant "frustré" par l'absence d'Africain sur le podium.
"Nous refusons de croire qu'il y a du racisme", avance l'éditorialiste du journal sénégalais Sud Quotidien, en soulignant qu'Eusebio, Weah, Ronaldo, Ronaldinho et Rivaldo, anciens Ballon d'Or, sont "tous des joueurs de couleur". "Mais quand des Africains votent contre des Africains, ce n'est pas demain qu'on verra le bout du tunnel", relève le journal.