Turji est à la tête d'un gang de plusieurs centaines de membres opérant dans les Etats de Zamfara, de Sokoto et parfois de Katsina. A coups d'atrocités en série, il s'y est forgé la réputation d'un homme à la cruauté sans nom.
Depuis des années, des bandes criminelles lourdement armées multiplient en toute impunité les attaques dans le nord-ouest et le centre du pays, faisant des milliers de morts. Nées d'affrontements entre éleveurs peuls et agriculteurs autour des ressources, ces violences se sont transformées en un conflit plus large, alimenté par le trafic d'armes.
A la veille de l'élection présidentielle, le 25 février, des pans entiers du territoire restent contrôlés par ces criminels, dont les chefs sont notamment capables d'y lever l'impôt. Bello Turji, 28 ans, est l'un des plus connus d'entre eux. D'autant qu'il est le seul à avoir accordé de nombreuses interviews, coiffé d'un turban, en tenue de camouflages militaires, une arme en bandoulière.
"Cowboy"
Né en 1994 dans le district de Shinkafi, à Zamfara, au sein d'une riche famille d'éleveurs peuls, Turji n'est pas allé au-delà de l'école primaire. Comme beaucoup en milieu rural. Il a toutefois reçu une éducation islamique de base à l'école coranique locale.
"Turji ne connaît rien d'autre que la vie rurale où tout commence et finit avec le bétail. C'est la source de tout: de subsistance, de prestige et de pouvoir politique", explique le professeur Murtala A. Rufai de l'université Usman Danfodio.
C'est un "cowboy" à la trajectoire ensanglantée: né "éleveur", passé "bandit", devenu "chef" et désormais "seigneur de guerre contrôlant de nombreux bandits et territoires", poursuit le professeur Rufai, référence en la matière et qui l'a déjà interrogé.
L'intéressé dit s'être tourné en 2011 vers le vol de bétail quand le troupeau familial a été lui-même volé, une raison avancée par de nombreux "bandits" ayant soudainement perdu leur moyen de subsistance. Et quand ses six frères et sœurs ont été tués par un groupe d'autodéfense, des meurtres restés "impunis" selon lui, Bello Turji dit avoir pris les armes.
Avec la croissance démographique vertigineuse qui a accompagné le 20e siècle au Nigeria, la terre est devenue l'objet d'une compétition féroce. Peu à peu, les conflits à propos des saccages de récoltes, de pollution de l’eau ou de vol de bétail se sont généralisés.
Dans le nord-ouest et le centre, beaucoup ont formé des gangs. Les autorités de Zamfara estiment qu'il y a aujourd'hui 30.000 bandits dans le nord-ouest, et des groupes d'auto-défense, également accusés d'exécutions extra-judiciaires.
Actif à Zamfara, aujourd'hui zone de non-droit, Bello Turji est responsable de la mort de centaines de personnes lors de raids meurtriers. En décembre 2021, il ordonne par exemple à ses hommes d'encercler un bus bondé et d'y mettre le feu. Vingt-trois civils, dont des femmes enceintes, meurent brûlés vifs.
"Nom funeste"
"Après cela, il est devenu quelqu'un", explique le professeur Rufai. Mais "il jouit d'une publicité excessive dans les médias. Je pourrais citer 10 seigneurs de guerre bien plus meurtriers et dangereux que Bello Turji". La différence avec les autres ? "Ses interviews virales".
A tel point qu'il est devenu le "premier nom funeste qui vient en tête quand on parle des bandits", faisant de lui la "principale cible de l'Etat". S'il accepte de s'exposer de la sorte, c'est surtout pour forcer les négociations avec les autorités locales qui bombardent ses camps, selon le professeur.
Le "seigneur de guerre" appelle à la fin des discriminations envers les peuls et à la dissolution des groupes d'autodéfense, qu'il accuse d'avoir tué ses frères et soeurs.
En août 2022, un accord de paix est trouvé avec les autorités locales de Zamfara. Mais l'armée, opposée à la trêve, bombarde la maison de Turji en son absence pendant le baptême de son nouveau-né. Douze personnes sont tuées, dont son frère aîné.
Après cet événement, le chef de bandits a formulé une menace à peine déguisée vis-à-vis des autorités: "Je suis prêt à accepter la paix comme la guerre. Quoi que choisisse le gouvernement, nous pouvons lui rendre au centuple."