Dans le sud pétrolier du Nigeria, des électeurs divisés

Muhammadu Buhari ne se représente pas après deux mandats (comme le veut la Constitution).

Autrefois l'une des communautés de pêcheurs les plus dynamiques de Port Harcourt, mégalopole pétrolière du sud du Nigeria, Okrika n'est aujourd'hui qu'un paysage de désolation où survivent 10.000 personnes.

Dans ces criques bordant l'océan Atlantique, l'eau est devenue trouble. Des décennies de marées noires et de raffinage illégal de pétrole ont obligé les pêcheurs à partir ou chercher d'autres emplois.

Même désillusionnés par les gouvernements successifs qui les ont abandonnés à leur sort, les habitants espèrent encore un changement, et nombreux sont ceux qui affirment qu'ils iront voter samedi pour élire leur prochain président. Les électeurs du pays le peuplé d'Afrique doivent désigner un successeur à Muhammadu Buhari, qui ne se représente pas après deux mandats (comme le veut la Constitution) marqués par une explosion de la pauvreté et de l'insécurité.

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Présidentielle du 25 février au Nigeria: une seule femme parmi les candidats

Ce scrutin qui s'annonce tendu et extrêmement serré est une course entre trois favoris (parmi 18 candidats): Bola Tinubu du parti au pouvoir (APC), Atiku Abubakar du principal parti d'opposition (PDP) et l'outsider de cette présidentielle Peter Obi (LP). Et à Okrika, comme dans la plupart des Etats pétroliers du sud, les électeurs sont divisés. Princewill Frank, qui vit depuis quinze ans à Port Harcourt, capitale de l'Etat de Rivers de quelque 3,5 millions d'âmes, s'inquiète que son vote ne compte pas.

"J'aimerais voir Peter Obi gagner, mais ils vont le piéger", dit cet homme de 57 ans sur un trottoir défoncé qui laisse apparaître des canalisations encombrées de déchets. A quelques mètres, Abigail Monday, qui prépare de petits "tilapias" (poisson typique de la région) à vendre, dit qu'elle votera pour "Atiku", comme les Nigérians appellent le candidat du PDP. "Pour que le pays aille mieux", dit-elle.

Pénurie de billets

Le sud est depuis toujours l'un des bastions du PDP, qui gouverna le pays de 1999 à 2015, année de la victoire de Buhari de l'APC. Mais cette année, la dynamique a changé: d'abord parce que le très puissant gouverneur de Rivers, Nyesom Wike (PDP) a refusé de soutenir Atiku Abubakar, le candidat de son parti, et parce que l'outsider Peter Obi (ancien du PDP) bénéficie ici d'une grande popularité.

Une grave pénurie d'argent liquide, provoquée par une récente réforme de la Banque centrale, a compliqué davantage la situation: désormais les électeurs se disent tentés de voter différemment, voire de ne pas voter du tout. Sur une artère animée de Port Harcourt, des foules sont massées devant les banques. Plus loin, des dizaines voitures font la queue devant une station essence.

Paradoxalement, les pénuries de carburant sont devenues un problème récurrent au Nigeria, premier producteur d'or noir sur le continent. Et même ici, dans la région où est extrait l'or noir. "Cela fait cinq fois que je me rends à la banque, pour pouvoir retirer 2.000 naira (environ 4 euros)", dit Ruth Okechuwu, une vendeuse d'igname (tubercule africaine). "Je suis une militante PDP, mais là je suis confuse, je suis énervée", dit cette femme de 43 ans.

Violences

Gagner les voix de Rivers compte pour les aspirants à la présidence: il est le quatrième Etat avec le plus grand nombre d'électeurs, derrière Lagos (sud-est), Kano et Kaduna (nord). C'est aussi et surtout l'une des régions les plus riches du pays grâce au pétrole. Et pour l'analyste Dengiyefa Angalapu, du Centre pour la démocratie et le développement (CDD), les candidats "ne peuvent ignorer un Etat avec autant de ressources".

Les recettes d'exportation du Nigeria dépendent presque entièrement du pétrole et du gaz, et Rivers réclame depuis longtemps un meilleur contrôle des ressources extraites de son territoire. "Rivers peut saper les politiques ou les actions nationales et être un centre de mobilisation anti-étatique", selon Tarila Marclint Ebiede, directeur du Réseau de recherche sur les conflits en Afrique de l'Ouest (Corn).

À quelques jours du vote, le puissant gouverneur Wike n'a pas encore officiellement apporté son soutien à un candidat à la présidence. Mais beaucoup le soupçonnent de soutenir M. Tinubu (du parti au pouvoir) tout en défendant les candidats du PDP pour les sièges au niveau étatique et local. Samedi, les Nigérians éliront aussi leurs députés et sénateurs. Puis, le 11 mars, leurs gouverneurs et députés locaux.

Selon M. Ebiede, des violences sont à redouter le jour du scrutin, et après. Ici les voyous et d'ancien rebelles armés sont "utilisés de manière informelle pour mener des actions violentes au nom des élites politiques", dit-il.