Boko Haram, fléau pour l'élevage et l'agriculture au Cameroun

Des femmes du village Kerawa se tiennent devant les portes de leurs maisons, près de la frontière avec le Nigeria, au Cameroun, 16 mars 2016.

Agriculteur autrefois prospère, Alahadji Lawan Yeza survit aujourd'hui grâce à l'aide alimentaire, à cause des exactions du groupe jihadiste nigérian Boko Haram, dans le nord du Cameroun, dans cette région du lac Tchad, où se rend ce vendredi le Conseil de sécurité de l'ONU.

Les jihadistes nigérians "m'ont volé 81 sacs de mil, 25 boeufs, 25 chèvres, trois motos, des effets de mes épouses", énumère Alahadji Lawan Yeza, chef coutumier d'Assighassia, localité proche de la frontière du Nigeria, qui exploitait jusqu'en 2014 un domaine de huit hectares.

Cette année-là, des combattants de Boko Haram ont pris momentanément le contrôle d'Assighassia lors d'un raid au cours duel neuf militaires camerounais ont été tués.

"Après l'attaque, nous avons fui et ils en ont profité pour casser et piller les maisons tout le long de la frontière", se rappelle Alahadji Lawan Yeza, rencontré à Mozogo dans la région camerounaise de l'Extrême-Nord, visée par les jihadistes.

"Ma famille et moi vivons de l'aide du Programme alimentaire mondial (PAM) alors qu'avant la crise je mobilisais aisément plus de deux sacs de mil tous les mois pour notre ration alimentaire", souligne cet homme qui dit avoir 50 bouches à nourrir (femmes, enfants, petits-enfants, beaux-parents).

"Nous avons du mal à manger depuis que Boko Haram a volé nos réserves. J'ai maigri, passant de 78 à 65 kg, de même que les enfants", se plaint Diou Lawan, autre habitant d'Assighassia.

Comme eux, environ 200.000 Camerounais, vivant principalement d'activités agro-pastorales, ont fui leurs villages proches du Nigeria pour se réfugier plus à l'intérieur des terres, où ils vivent dans la plus grande précarité.

Au moins "sept fermiers sur dix" ont laissé leurs champs dans cette région du Cameroun, selon le PAM. Pas moins de 4.500 hectares de terres ont ainsi été délaissées par de nombreux villageois craignant pour leurs vies, selon le ministère de l'Agriculture.

Au moins 135 éleveurs ont été tués par les djihadistes, laissant 82 veuves et 443 orphelins, selon un recensement non exhaustif datant de mai 2016.

Dans les zones où ils sévissent, les jihadistes tuent, volent du bétail et des céréales qu'ils consomment ou qu'ils revendent, rapporte Raymond Haman Dawaï, responsable du secteur de l'agriculture dans la région de l'Extrême-Nord.

"Il y a des personnes chez qui Boko Haram a volé 100, 200 voire 300 boeufs", confirme un officier de police ayant requis l'anonymat.

Rien que dans le secteur de l'élevage, les pertes directes liées à ces attaques étaient estimées en mai 2016 à près de 55 milliards de FCFA (83,8 millions d'euros), auxuqelles s'ajoutent 8,5 milliards de FCFA (près de 13 millions d'euros) de pertes pour la pêche, selon une enquête du ministère de l'Elevage et des Pêches.

Ces pertes prennent en compte la chute de la valeur commerciale des animaux, le vol, les tueries et le rapt du bétail, ainsi que la résurgence de certaine maladies animales imputable à l'insécurité entretenue par Boko Haram, selon l'enquête dont les résultats ont été consultés par l'AFP.

L'étude précise également que depuis 2012, Boko Haram a volé ou tué dans la région camerounaise plus de 29.000 bovins, plus de 19.000 petits ruminants et plus de 4.000 volailles alors que ses attaques ont provoqué la fermeture de 21 marchés à bétail, soit l'essentiel des points de vente existant dans la région.

Les enquêteurs chiffrent à 1.425 le nombre d'éleveurs victimes du vol et des tueries de leur cheptel. "Ce sont autant de vies brisées. C'est aussi la faim qui s'est installée et l'impossibilité pour les acteurs du secteur agro-pastoral de se rendre dans leurs exploitations", commente sous couvert d'anonymat un responsable du ministre de l'Elevage.

Les exactions de Boko Haram ont également anéanti les activités de pêche dans la zone du lac Tchad. "Même si la crise venait à être jugulée aujourd'hui, il faudrait du temps pour que les gens se relèvent", commente ce même responsable.

Une délégation du Conseil de sécurité a commencé vendredi au Cameroun une tournée dans les quatre pays riverains du lac Tchad (Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria) théâtres des exactions de Boko Haram. "Nous venons pour montrer qu'il ne s'agira plus jamais d'une crise négligée", a promis l'ambassadeur du Royaume uni membre de cette délégation.

Avec AFP