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Les ONG dénoncent les violations des droits dans la lutte contre le terrorisme au Cameroun


Des avocats venus soutenir l’un de leur collègue en attente de jugement au Tribunal militaire de Yaoundé, Cameroun, 2 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)
Des avocats venus soutenir l’un de leur collègue en attente de jugement au Tribunal militaire de Yaoundé, Cameroun, 2 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)

Les organisations non-gouvernementales locales dénoncent une fois de plus des cas de violations des droits de l’homme. Sur le banc des accusés : le gouvernement, certains éléments de l’armée et la justice camerounaise.

Le gouvernement camerounais se défend face à cette autre sortie des ONG locales dans un contexte de lutte contre le terrorisme.

La riposte du gouvernement camerounais face aux revendications des enseignants, avocats et populations dans les zones anglophones du Cameroun a été accompagnée de violations de droits de l’homme.

"Quand un ministre dit qu’on a coupé la connexion internet sciemment dans les régions anglophones du Cameroun, parce qu’on ne veut pas laisser les gens communiquer, mais ce n'est clair que, ce ministre est en train de violer le droit à la liberté d’expression de ces Camerounais", explique Cyrille Rolande Bechon, Directrice exécutive de l'ONG camerounais Nouveaux droits de l'Homme (NDH), au cours d’une rencontre avec la presse à Yaoundé le 17 janvier 2017.

Elle poursuit : "quand on décide de relâcher une vingtaine de personnes interpellées dans les régions anglophones, ça veut qu’on admette qu’on a arrêté massivement des gens. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas monter le registre des interpellés pour comparer avec le nombre des personnes remises en liberté ? Dans un État de droit, dans un pays sérieux, les choses ne se passent pas comme ça !"

Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive nouveaux droits de l’Homme, lors du briefing à la presse, le 17 février 2017, à Yaoundé, le 17 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)
Cyrille Rolande Bechon, directrice exécutive nouveaux droits de l’Homme, lors du briefing à la presse, le 17 février 2017, à Yaoundé, le 17 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)

D’autres ONG camerounaises affirment que le prétexte de la lutte contre le terrorisme, fait prospérer des exactions au sein de l’armée camerounaise.

A la fin d’un échange académique avec les officiers militaires de plusieurs pays africains, en formation à l’école internationale de guerre de Yaoundé, sur les questions de droits de l’homme au Cameroun dans un contexte de lutte contre le terrorisme, Maximilienne Ngo Mbe, Directrice exécutive du réseau des défenseurs des droits de l’homme en Afrique centrale REDHAC nous a confirmé haut que le mal persiste.

"Si je me retrouve en train de faire des communications du genre avec les militaires, c’est parce que le malaise est profond. Dans l’extrême nord du Cameroun, il y a tous les jours des exactions dans les villages, lors des ratissages menés par les éléments du Bataillon d’intervention rapide( Bir), une unité d’élite qui combat la secte Boko Haram", explique-t-elle.

Elle raconte : "c’est le REDHAC qui avait dénoncé les ratissages des villages comme Doublé et il y avait eu 130 morts. Le gouvernement avait reconnu 25 morts. Les noms n’ont jamais été publiés, dont l’impunité reste. Il faut cependant reconnaître que depuis que nous avons essayé de documenter ces cas là, l’armée a fait plus attention".

Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du REDHAC, l’ONG qui a dénoncé en 2015 les exactions de certains éléments de l’armée camerounaise sur la population dans l’extrême nord du Cameroun, le 17 février 2017, à Yaoundé. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)
Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du REDHAC, l’ONG qui a dénoncé en 2015 les exactions de certains éléments de l’armée camerounaise sur la population dans l’extrême nord du Cameroun, le 17 février 2017, à Yaoundé. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)

Un SMS condamné à 10 ans de prison

Preuve que le motif de lutte contre le terrorisme a altéré la situation des droits de l’homme, trois jeunes élèves camerounais de la ville de Limbé - Afuh Nivelle Nfor Azah Levis Gob (21 ans) et Fumosoh Ivo Fumosoh (27 ans) - ont été condamnés en novembre 2016 à 10 ans de prison pour avoir partagé un SMS de plaisanterie en rapport avec la secte Boko Haram.

La blague contenant le message disait : "Boko Haram recrute des jeunes de 14 ans et plus. Conditions de recrutement : avoir validé 4 matières et la religion au baccalauréat".

Le SMS insinuait dans le jargon de la jeunesse, un effort au travail pour décrocher un bon emploi, selon leur défense.

Ils avaient été dénoncés par leur enseignant, arrêtés entre septembre et décembre 2014, puis condamnés au tribunal militaire de Yaoundé pour "complicité d’insurrection et non- dénonciation d’actes de terrorisme", ayant bénéficié des circonstances atténuantes.

Avec le procès des leaders de la contestation en zone anglophone du Cameroun (MM Félix Agbor Nkongho avocat, Neba Fontem enseignant, Mancho Bibixy animateur radio), les défenseurs des droits humains s’insurgent contre "la déportation des personnes interpellées et inculpées loin de leur région d’origine soit pour être interrogées ou jugées".

Pour maître Simh, avocat au barreau du Cameroun qui défend plusieurs personnes accusées de terrorisme, il n’est pas normal que les Camerounais soient contraints à de tels déplacements alors qu’un découpage judiciaire est existant.

"Comment on explique que je vis à Buea (sud-ouest Cameroun), l’autre à Bamenda (nord-ouest Cameroun), et qu’on nous poursuive à Yaoundé dans une même boîte, pour la même infraction ? Comment a-t-on pu être présent co -auteurs à une telle distance ? Il y a d’autres personnes accusées de terrorisme qui sont jugées dans les régions où elles sont accusées d’avoir commis cette infraction" se demande-t-il.

Maître Simh, avocat au barreau du Cameroun, modérateur le 17 février 2017 lors du briefing à la presse sur les droits de l’homme au Cameroun, le 17 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)
Maître Simh, avocat au barreau du Cameroun, modérateur le 17 février 2017 lors du briefing à la presse sur les droits de l’homme au Cameroun, le 17 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)

Sur la question de la compétence nationale du tribunal militaire de Yaoundé, sont présentés comme des terroristes, le ministre camerounais de la communication oppose un argument de droit aux contestataires.

"Aux termes de la loi du 29 décembre 2008, portant sur l'organisation judiciaire militaire, le tribunal militaire de Yaoundé, est une juridiction de compétence nationale habilitée à exercer ses attributions sur l’ensemble du territoire national en cas de menace grave à l’ordre public, à la sécurité de l’Etat et d’acte de terrorisme".

La discordance est totale et la dernière sortie des ONG camerounaise sur le respect des droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme au Cameroun, pourrait encore corser les rapports parfois tendus entre les pouvoirs publics et ces associations, explique maître Alice Nkom, avocat et figure de proue des défenseurs de l’homme au Cameroun.

Alice Nkom, avocate, lors du conférence sur les droits de l’homme et le terrorisme, le 17 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)
Alice Nkom, avocate, lors du conférence sur les droits de l’homme et le terrorisme, le 17 février 2017. (VOA/Emmanuel Jules Ntap)

"C’est une activité de haut risque au Cameroun. Ce n'est pas facile d’aborder le travail de défenseurs des droits de l’homme au Cameroun, dans un contexte de terrorisme. J’ajouterai dans un contexte d’État de non droit. Tous les États luttent contre le terrorisme et protègent d’abord leurs populations. Au Cameroun malheureusement, les défenseurs des droits de l’homme sont considérés comme des opposants, des vendus".

Emmanuel Jules Ntap, correspondant à Yaoundé

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