CPI : le jihadiste qui a détruit les mausolées de Tombouctou, un homme "honnête" qui "a dérapé"

Ahmad Al Mahdi Al Faqi assis dans la salle d’audience lors de sa comparution initiale devant la Cour pénale internationale à La Haye, Pays-Bas, 30 septembre 2015.

Le jihadiste malien contre lequel l'accusation a requis mercredi entre 9 et 11 ans de prison pour avoir détruit plusieurs mausolées de Tombouctou n'est autre qu' "un homme honnête" qui, "à un moment donné s'est trompé", a relativisé son avocat, au dernier jour de son procès devant la CPI.

Historique, le premier procès pour destruction de patrimoine culturel s'est clôturé devant la Cour pénale internationale (CPI) après seulement trois jours d'audience.

Dès l'ouverture du procès lundi, Ahmad Al Faqi Al Madhi avait plaidé coupable de la destruction en juin et juillet 2012 de neuf des mausolées de Tombouctou et de la porte de la mosquée Sidi Yahia, monuments classés au Patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco.

Une première dans la courte histoire de la CPI, qui voit également comparaître devant elle le premier jihadiste présumé et le premier à répondre de crimes commis pendant le conflit malien.

Dernière dans la série des premières: le jugement qui sera prononcé le 27 septembre sera inédit en matière de pillage et de destruction de patrimoine culturel alors que 55 sites sont officiellement classés "en danger" à travers le monde.

Après avoir annoncé lundi un accord avec la défense, l'accusation a requis mercredi entre 9 et 11 ans de détention. Si la peine décidée par les juges- qui ne sont pas liés par cet accord et peuvent lui infliger jusqu'à 30 ans de prison - se situe dans cet échelle, M. Mahdi s'engage à ne pas interjeter appel.

Pour le représentant de la procureure Gilles Dutertre, celui qui était alors à la tête de la Hisbah, la brigade islamique des moeurs, était le "chef d'orchestre" d'attaques visant à mettre fin aux prières et rites en ces lieux, contraires à la charia ou loi islamique.

Ces destructions, a-t-il souligné, ont été menées "de manière systématique, en rasant les mausolées jusqu'au sol", n'endommageant toutefois pas les dépouilles des saints enterrés en-dessous des monuments.

Sollicités pour des mariages ou pour implorer la pluie, les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de "Cité des 333 saints". Les érudits enterrés ici ont joué un rôle important pour la diffusion de l'islam dans toute la région ouest-africaine.

Pour l'Afrique, ces monuments symboliques sont "comme la tour Eiffel en France ou les pyramides d'Egypte", assure Mayombo Kassongo, représentant légal des victimes.

Sites en danger

L'accusé "n'est pas un décideur, il est le chef des exécutants", a expliqué l'avocat de la défense, Jean-Louis Gilissen. "C'est un homme qui voulait construire quelque chose de mieux, poursuivi aujourd'hui pour avoir détruit."

La défense a dressé le parcours de ce fils de marabout, qui vécut pendant 11 ans à Tombouctou avant l'arrivée des groupes armés: un "homme généreux avec un caractère extrêmement soucieux d'autrui", membre du comité de réconciliation entre les différentes communautés musulmanes, fondateur d'ONG et facilitateur de liens entre les Touaregs.

"Pendant un peu plus de trois mois, il a dérapé. C'est un homme qui, à un moment donné, s'est trompé. Il a voulu donner des conseils pour appliquer la charia", a déclaré M. Gilissen: "c'est une erreur terrible".

Enseignant puis directeur d'école, M. Mahdi était un grand spécialiste de la religion d'Ansar Dine, un des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda ayant contrôlé le nord du Mali pendant dix mois en 2012 jusqu'à une intervention militaire internationale déclenchée par la France.

C'est lui qui a planifié l'opération de destruction des monuments menée du nord au sud de la ville, qui a fourni outils et nourriture, qui a décidé d'utiliser un bulldozer pour raser les deux derniers mausolées et qui a justifié ces attaques, d'après l'accusation qui estime qu'"il a eu un impact essentiel en confortant les attaquants dans leur action".

Exprimant ses remords et ses regrets, cet intellectuel, transféré à la CPI par le Niger en 2015, a adressé lundi "un message à tous les musulmans du monde entier, qu'ils résistent à ce genre d'actions dont les conséquences n'ont pas de limites et pas de bénéfices".

Mais aujourd'hui, alors que la liste des sites en danger ne cesse de s'allonger, d'autres poursuites ne seront pas évidentes. Ni l'Irak, ni la Syrie, où des sites sont régulièrement pris pour cible, n'ont signé le Statut de Rome, fondateur de la CPI : sans décision de l'ONU, aucune enquête n'est possible.

Avec AFP