RDC

D'ex-chefs de guerre en émissaires de paix auprès des miliciens en Ituri

Un commandant local de l'Union des Révolutionnaires pour la Défense du Peuple Congolais / Coopérative pour le Développement du Congo armé est rassuré par d'anciens chefs de guerre sur le processus de démobilisation dans le village de Wadda, en Ituri, le 19 septembre 2020.

"Je vous appelle à privilégier la paix. Moi, j'ai passé 15 ans en prison", lance l'ex-chef de guerre Floribert Ndjabu à des miliciens regroupés près de Masumbuko, un village reculé de la province de l'Ituri, dans le Nord-Est de la République démocratique du Congo.

A ses côtés, le général Germain Katanga, condamné en 2014 par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, reste sur ses gardes face à ces membres d'un groupe accusé du massacre de centaines de civils.

"Ce ne sont pas des enfants de chœur", apprécie - en fin connaisseur - le général Katanga, sorti de prison en début d'année, comme Floribert Ndjabu.

Avec une demi-douzaine d'autres, des condamnés ayant purgé leur peine pour la plupart, les deux hommes ont été envoyés par le président de RDC Félix Tshisekedi en émissaires de paix dans l'Ituri, un des nombreux foyers de violence dans le pays et une région où ils ont eux-mêmes semé la terreur dans les années 2000.

Leur mission: désarmer les miliciens de la Coopérative pour le développement du Congo (Codeco), secte politico-militaire qui prétend défendre les Lendu, une communauté locale, majoritairement des agriculteurs.

Les Codeco sont surtout accusés d'avoir tué des centaines de civils depuis décembre 2017. "La grande majorité des victimes semble avoir été visée en raison de leur appartenance à la communauté Hema" - des éleveurs et commerçants -, d'après les Nations unies qui redoutent de possible "crimes contre l'humanité".

Le colonel Germain Katanga dans la province de l'Ituri, le 18 septembre 2020.

"Nos respects, président"

Pour arriver sous la tente des discussions, les émissaires de paix ont fait la route entre le chef-lieu de l'Ituri, Bunia, et le territoire de Djugu, épicentre des violences.

Au passage de leur convoi escorté par l'armée congolaise, des dizaines de combattants sont sortis des bois. Certains portent des armes de tous calibres, des stocks de munitions, des lances, des couteaux et des fétiches.

Chef de délégation, Floribert Ndjabu s'avance vers eux, se présente, leur ordonne: "Montez dans le gros véhicule derrière". "Nos respects président", répondent les combattants, qui s'exécutent.

Ils ont reconnu en lui le président du Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI), groupe politique armé à l'œuvre pendant la "première guerre de l'Ituri", entre 1999 et 2003.

Ndjabu a été poursuivi mais jamais condamné pour avoir commandité le meurtre de neuf Casques bleus bangladais en 2005.

En fin d'après-midi, le convoi arrive à destination, au village de Masumbuko.

En civil ou en tenue militaire "empruntée" à l'armée congolaise, les miliciens paradent avec leurs armes: lance-roquettes, mitrailleuses, fusils d'assaut. Assez indifférents, les habitants les observent de loin.

Visiblement enrôlés dans cette secte politico-militaire, une vingtaine d'enfants marchent en procession, vêtus de blanc. Des fillettes chantent des cantiques à la gloire du "général Ngudjolo", un chef milicien Codeco tué en début d'année par l'armée congolaise.

Le groupe armé URDPC/CODECO dans la province d'Ituri, le 19 septembre 2020.

"Nous sommes frères"

Les discussions commencent le lendemain, après la lecture de versets bibliques sous un soleil de plomb. "Assaillants, écoutez la voix de Jésus", chantent les miliciens.

Floribert Ndjabu peut entrer dans le vif du sujet: "Le chef de l'Etat nous a envoyés pour vous sensibiliser afin de cesser avec les hostilités".

"Je comprends vos frustrations mais vous n'allez pas mettre le territoire sens dessus dessous. Il faut laisser l'Etat et les autorités faire leur travail", ajoute Germain Katanga.

Un chef religieux de la milice Codeco n'est pas convaincu: "Nous nous battons contre l'armée et la police congolaises [pour dénoncer] les arrestations et emprisonnements arbitraires des nôtres", lance le pasteur Ngadjole Ngabu.

Il accuse par ailleurs des Hema d'être de mèche "avec les militaires" dans la traque des combattants Lendu.

"Enlevez de vos têtes que les Hema sont vos ennemis ou qu'ils sont mauvais. Je suis Lendu comme vous, mais j'ai passé la nuit chez les Hema. Nous sommes des frères", réagit Floribert Ndjabu.

La discussion se termine. "On s'est mis d'accord: dès que le chef de l'Etat va répondre à leur (demande) d'intégration dans l'armée ou la police, tout ira bien", espère Germain Katanga, vêtu de son uniforme de général de l'armée congolaise.

"Si vous me voyez en tenue, à ce grade, c'est parce que j'ai accepté le processus (de paix)", insiste-t-il.

Un milicien du groupe armé URDPC/CODECO dans la province d'Ituri, le 18 septembre 2020.

Baisse des violences

Au départ de la délégation, des miliciens surexcités tentent de bloquer le convoi, obligeant les émissaires à de nouvelles discussions.

Le convoi quitte enfin les lieux à la nuit tombante. A l'approche de Bunia, une déflagration d'armes automatiques d'origine inconnue se fait entendre au loin. Par réflexe, Katanga, ses hommes et l'escorte de l'armée congolaise mettent la main sur leurs armes.

L'alerte passée, le cortège poursuit sa route à vive allure vers Bunia.

Depuis l'arrivée des émissaires mandatés par le président Tshisekedi, les violences ont sensiblement baissé, d'après les témoignages recueillis par l'AFP dans plusieurs localités d'Ituri.

Selon l'ONU, plus d'un millier de civils ont été massacrés depuis décembre 2017. Des civils Lendu affirment également avoir été victimes des représailles de l'armée.