Dans une Ethiopie divisée, les Orthodoxes unis dans les célébrations de "Meskel"

Un Grand Prêtre présente une croix devant un feu de joie lors des célébrations des vacances orthodoxes éthiopiennes de Meskel à Addis-Abeba le 27 septembre 2023.

Les Ethiopiens orthodoxes ont commencé mercredi à célébrer "Meskel" ("la Croix" en langue nationale amharique), l'une des plus importantes fêtes en Ethiopie, pays profondément religieux mais déchiré par des violences politiques et identitaires.

"Le christianisme a le pouvoir de rendre notre unité originelle, il nous aide à oublier ces différences qui nous ont modelées depuis si longtemps et nous ont amené ces conflits, ces guerres, ces haines et ces atrocités", assure à Addis Abeba un prêtre orthodoxe qui ne donne pas son nom.

Cette célébration, "c'est comme un prêche disant (...) revenons à l'unité".

Célébrée jeudi, Meskel commémore, chez les fidèles des Eglises autocéphales éthiopiennes et érythréennes, la découverte au IVe siècle, selon la tradition chrétienne, "de la Vraie Croix" de la crucifixion par Sainte Hélène, mère de l'empereur romain Constantin 1er. Un fragment est supposé conservé dans le nord de l'Ethiopie.

Les festivités à travers le pays ont commencé dès mercredi au coucher du soleil par la cérémonie de "Demera", l'embrasement de bûchers.

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Cette tradition commémore l'une des légendes chrétiennes: l'impératrice "Hélène a allumé un brasier et la fumée l'a guidée à l'emplacement exact" où était enterrée la Croix sur laquelle fut crucifié le Christ, explique Henok Habebe, 24 ans, électricien, membre d'une congrégation d'Addis Abeba.

Dans la capitale éthiopienne, les "demera", bûchers pyramidaux couverts d'herbes vertes et colorés d'Adey Abeba, marguerites jaunes endémiques en Ethiopie, ont commencé à être érigés dès la matinée, dans les rues ou sur les parvis des églises.

Chaque fidèle ou habitant contribue en apportant un ou plusieurs "chibo", longs fagots de bois sec vendus dans la rue pour l'occasion.

dizaine de mètres de haut

Mosaïque de 80 peuples, l'Ethiopie est l'un des plus anciens pays chrétiens au monde. Son ancêtre l'Empire axoumite décréta la chrétienté religion d'Etat dès le IVe siècle, en même temps que Rome.

En l'absence de recensement récent, on estime qu'environ deux tiers des 120 millions d'habitants sont chrétiens - principalement orthodoxes mais le nombre de protestants augmentent - et un tiers musulmans, en plus d'une petite minorité animiste.

Comme chaque année, le bûcher le plus imposant, haut d'une dizaine de mètres, a été allumé sur la place Meskel, vaste esplanade du centre de la capitale, devant des dizaines de milliers de personnes, prêtres et évêques orthodoxes aux riches étoffes, fidèles des congrégations en aubes blanches et nombreux croyants venus en spectateurs.

Dans l'après-midi, les congrégations ont défilé au sons des mélopées sacrées, accompagnées par des tambours et des tsenatsel, un sistre traditionnel (petite poignée de métal dans lequel s'entrechoquent des rondelles métalliques).

"pas comme avant la guerre"

Dans le nord, la région du Tigré, berceau du royaume axoumite, a, pour la première fois depuis 2020 fêté Meskel en paix, presque un an après l'accord de paix ayant mis fin à deux ans de guerre brutale avec le pouvoir fédéral éthiopien.

"Je célèbre Meskel d'une bien meilleure façon que ces dernières années. Au moins, il n'y a pas de tirs", explique Kalayu Kiros, un habitant de Mekele, la capitale régionale, mais "la guerre a laissé tellement de traumatismes qu'on ne peut pas fêter totalement".

Pour Meaza Teklemariam, autre habitant de Mekele, c'est "mieux que les années précédentes car les espoirs de paix sont là". Cependant, "le coût de la vie, enchéri par la guerre, m'empêche d'apprécier Meskel comme avant" la guerre.

Si les armes se sont tues au Tigré, les violences se poursuivent ailleurs dans ce pays fédéral divisé en Etats régionaux tracés sur des lignes ethno-linguistiques. Dans celui de l'Amhara, au nord-ouest, des milices régionales affrontent depuis avril l'armée fédérale et l'état d'urgence y a été décrété, avec son lot d'accusations d'exécutions sommaires et d'arrestations arbitraires.

"Comment célébrer Meskel, quand la peur et le couvre-feu vous contraignent à rester chez vous?", a expliqué par téléphone un habitant de Debre Markos, localité de la région.

Plusieurs zones de l'Oromia, région la plus vaste et la plus peuplée, sont aussi la proie de groupes armés, mêlant revendications politiques et banditisme, et de conflits identitaires.

"Les gens vivent dans la difficulté et la peur en raison du conflit en cours et de la hausse du coût de la vie qu'il engendre", explique Gemechis, habitant la zone de Mirab-Wollega, dans l'ouest du pays. "Malgré cela, les gens célèbrent Meskel avec leurs maigres ressources et dans l'insécurité".