Des victimes du bourreau Hissène Habré attendent toujours réparation

Des Sénégalais marchent devant le palais de Justice à Dakar, le 21 septembre 2015.

Halimé Tahir a 35 ans lorsque le régime d'un des pires dictateurs africains, Hissène Habré, fait d'elle une veuve. Depuis la mort de son mari "froidement assassiné" en 1986 par la redoutable police politique du régime tchadien, elle se bat pour obtenir réparation.

Enlevé à son domicile par plusieurs policiers, son mari, un militaire qui travaillait à l'aéroport de N'Djamena, est jeté dans une cellule surpeuplée d'une prison mouroir de la capitale tchadienne. Sans explication. Cinq jours après son arrestation, alors qu'Halimé vient lui apporter des vivres à la prison, un maton lui intime l'ordre de partir car son mari a été emmené pour être exécuté.

"J'ai beaucoup pleuré", raconte cette femme qui dit n'avoir jamais retrouvé la dépouille de son mari. Munie juste de la pièce d'identité de son époux, elle l'a longtemps cherché dans plusieurs centres de détention. En vain.

"Trente ans après la fin" du régime Habré, les victimes de cette sombre période "continuent de souffrir", confie cette femme, âgée aujourd'hui de 67 ans, mère de cinq enfants.

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Comme figée dans un silence déconcertant, Halimé est entourée de plusieurs dizaines de femmes assises sur de petites briques blanches. Elles aussi ont perdu un mari, un frère ou un père dans les geôles du régime d'Hissène Habré, qui a été condamné en 2017 à la prison à vie pour crimes contre l'humanité.

Mais trente ans après la fin de son régime sanguinaire, toutes ces victimes attendent toujours d'être indemnisées.

A N'Djamena, des femmes aux traits tirés brandissent des pancartes sur lesquelles elles ont écrit: "Ne continuez pas à nous tuer" ou "Absence de réparation, la torture continue".

Arrivé au pouvoir par les armes en 1982, Hissène Habré a dirigé le Tchad jusqu'en 1990. Huit années marquées par une terrible répression: des milliers d'opposants - réels ou supposés - sont arrêtés par la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique), torturés, souvent exécutés. Une commission d'enquête estimera à plus de 40.000 le nombre de personnes mortes en détention ou exécutées.

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Renversé en 1990, Habré trouve refuge à Dakar pour un exil paisible pendant plus de vingt ans.

En mars 2015, la justice tchadienne condamne 24 anciens agents de la DDS à des peines de prison, ainsi qu'au versement de 114 millions d'euros de dommages et intérêts aux quelque 7.000 victimes recensées. L’État tchadien devant prendre en charge la moitié de cette somme.

Ce n'est finalement qu'en 2017, que l'implacable bourreau Habré est définitivement condamné à la perpétuité pour crimes contre l'humanité par un tribunal spécial africain à Dakar. Le tribunal ordonne aussi le versement de plus de 125 millions d'euros aux victimes.

"Forcé de creuser des charniers"

Mais les victimes n'ont toujours pas reçu un centime.

Venus des quatre coins du pays, des dizaines d'hommes et de femmes, de tous âge, manifestent depuis trois mois devant le siège de l'Association de Victimes des crimes du régime de Hissène Habré (AVCRHH) à N'Djamena pour obtenir réparation pour la perte de leurs proches.

Moborombi Ouaidou, 35 ans, fait partie de ces victimes.

"Mon père, dit-il, a été arbitrairement arrêté, torturé puis tué par le régime de l'ancien président (...) il se peut que je meure à mon tour" avant d'être indemnisé.

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A l'ombre d'un hangar où des nattes traînent sur le sol, des dizaines d'autres victimes sont réunies. Parmi elles, le représentant de l'AVCRHH, Clément Abaïfouta, qui a passé quatre ans derrière les barreaux des prisons de l'ex-dirigeant tchadien.

Clément a été notamment forcé de creuser des charniers pour enterrer de "nombreux codétenus".

"Le gouvernement, selon lui, ne donne aucune importance à ce dossier (...) certains condamnés (de l'ex-police politique) ont été libérés sans purger leur peine pendant que les victimes continuent de mourir".

Côté gouvernement, on tempère: "On est en train de mettre sur pied un comité chargé de régulariser cette situation", explique le directeur général qui dirige la section des droits humains au sein du ministère de la Justice tchadienne, Masrangué Trahogra. "Il faut que les gens patientent un peu et puis tout va entrer dans l'ordre".

Mais Clément Abaïfouta, lui, se dit déterminé à organiser des rassemblements jusqu'à ce que les victimes obtiennent gain de cause. "Le Tchad doit être un pays démocratique alors il ne peut pas cautionner l’impunité".