En tee-shirt et short rouges, il se tient droit sur sa prothèse, fait des va-et-vient, regardant dans un miroir pour contrôler sa marche, sous la surveillance d'un orthopédiste, au Centre de réhabilitation moteur (CRM) de Bissau, fondé en 1981.
Ce centre est une relique des luttes de libération des anciennes colonies africaines du Portugal (Angola, Mozambique, Sao Tomé, Cap-Vert et Guinée-Bissau), puis des guerres civiles qu'elles ont connues, marquées par l'utilisation généralisée de mines, explique son directeur, Joao Kennedy de Pina Araujo.
Depuis, des anciens combattants de ces pays ont été soignés ou se sont fait fabriquer du matériel orthopédique dans ce centre, reconstruit en 2010 par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
"Ca fait un peu mal", dit Ibrahima Sakho, menuisier de 31 ans, sous la surveillance de l'orthopédiste qui ajuste la prothèse pour l'adapter sur le jeune homme, venu de Ziguinchor, principale ville de Casamance, dans le sud du Sénégal, à quelque 150 km de Bissau.
Il avait à peine 12 ans lorsqu'il a sauté sur une mine en allant chercher du bois dans cette région en proie depuis décembre 1982 à la rébellion du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC, indépendantiste).
Le conflit a fait des milliers de victimes et de déplacés, et ravagé l'économie de la région.
Un total de 826 victimes des mines ont été officiellement recensées depuis 1988 par le Centre national d'actions anti-mines du Sénégal (Cnams). Sur l'ensemble des victimes civiles, 151 sont décédées et 85 ont perdu un ou deux membres inférieurs.
Parmi elles, 83 bénéficient d'un accord conclu en 2015 entre le Cnams, le CICR et l'Association des victimes des mines, devenue l'Initiative solidaire d'actions de développement (Isad), pour se faire poser ou remplacer leurs appareils moteurs.
- Appareillage périssable -
"Le programme a pour but d'appareiller les patients amputés, des victimes de mines identifiées à Ziguinchor", précise Ana Rodrigues, une responsable du CICR à Bissau.
Depuis deux ans, 78 ont déjà été appareillés et les cinq restants doivent l'être d'ici à septembre, selon le CICR.
"Une prothèse peut durer deux à quatre ans. Si le patient grossit ou maigrit, il faut la changer", explique Dasylva Miguel Marçal, technicien orthopédiste, dans la salle dite de moulage, entouré de bandages et de poudre blanche. "Les pièces de la prothèse peuvent se casser".
"Avec ma prothèse actuelle, je ne peux pas transporter certaines charges, comme par exemple des planches dans l'atelier", indique Ibrahima Sakho. "Je dois demander à mes apprentis".
Faute de moyens à Ziguinchor, le Cnams s'est tourné vers le CICR, qui soutenait déjà le CRM de Bissau.
Le Centre régional d'appareillage orthopédique (Crao) de Ziguinchor manque en permanence de fournitures de base, comme les bandages et le coton, affirme Mamadi Gassama, un responsable de l'Isad, venu à Bissau pour renouveler son appareillage.
A Ziguinchor, "ils demandent trop d'argent, 15.000 francs CFA (environ 23 euros) pour acheter des bandages", renchérit Louis Bernard Diédhiou, un autre amputé. "A Bissau, on ne paie pas. Le CICR prend tout en charge".
Une prothèse peut coûter entre 100.000 francs CFA (152 euros) et 200.000 francs CFA (305 euros).
Le Crao manque de moyens humains et financiers, selon un de ses responsables.
Au-delà des problèmes d'accès au matériel orthopédique, "les fonds pour les victimes de mines sont devenus rares", affirme Mamadi Gassama, favorable à "un plaidoyer" auprès de l'Etat.
Selon Sarani Diatta, coordonnateur de l'Isad, "l'Etat du Sénégal met l'accent là où il y a le feu, concentre ses efforts" sur les urgences. "Des milliards sont injectés dans le déminage", mais il "oublie les conséquences de ce conflit", estime M. Diatta.
Plus de 1.872 km2 ont été déminés, mais le travail reste à faire pour environ 1.300 km2, selon le Cnams.
Les victimes des mines bénéficient de "programmes ponctuels qui ne s'inscrivent pas dans la durée", regrette Sarani Diatta.
Pour relever ce défi, l'Isad, avec le soutien de partenaires comme le CICR, finance des activités génératrices de revenus, notamment dans le commerce et l'aviculture.
Avec AFP