Le dialogue national est donc au point mort.
Le texte au centre des querelles prévoit, comme cela était déjà connu, la mise sur pied d’un gouvernement d’union nationale dont la Primature est confiée à l’opposition.
Edem Kodjo, facilitateur désigné par l’Union africain pour le dialogue en RDC, mais récusé par les ténors et une bonne partie de l’opposition, a personnellement distribué ledit projet d'accord lors de la dernière séance avortée de la plénière des concertations qui se tiennent à la cité de l’Union Africaine, à Kinshasa. L’authenticité du document ne peut donc faire l’objet d’aucun doute.
Bien que censé être le produit d’un consensus de ceux qui l’ont produit, le texte ne réunit vraisemblablement pas l’assentiment de tous les protagonistes. " Il viole même la Constitution", soutiennent aussi bien la majorité, l’opposition que la société civile au point de se demander s’il émane réellement d’eux.
Le fait que le projet d’accord stipule que le poste du Premier ministre revienne à l’opposition constitue déjà en soi une violation de la loi fondamentale, selon le député du pouvoir Thomas Lokondo, président de l'Union congolaise pour la liberté (UCL).
Le député Lokondo comme bien d’autres de ses pairs de la majorité disent ne pas être prêts à marcher sur l’article 78 de la constitution qui prévoit que le président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire. Et ils soutiennent qu’il ne s’agit pas là de la seule violation.
L’opposition, elle aussi, dénonce la violation de la Constitution par ce projet d’accord. Ceux de la frange qui ont suspendu leur participation au dialogue, préviennent qu’ils n’apposeraient pas leur signature sur un accord qui ne comporte ni la date de l’élection présidentielle ni une stipulation claire indiquant que le président Joseph Kabila ne se représentera pas à un troisième mandat comme le veut la Constitution.
"Ce projet d'accord consacre la mise en veilleuse de la Constitution et c'est dangereux parce qu'il y aura un vide juridique à partir du 19 décembre. On veut enterrer la Constitution. Donc il faut y prévoir des énoncés qui le lient à la Constitution et qui protège cette dernière", met en garde Joseph Mabanga du Rassemblement.
-Pas de date d'élections ni de durée de la transition-
Le projet de l’accord se contente de préciser que le Premier ministre et les membres du gouvernement qui sera mis sur pieds à l’issue du dialogue, avec la mission d’organiser les élections, ne pourront briguer aucun mandat aux prochains scrutins en moins de démissionner trois mois avant la tenue de ceux-ci.
"Ce dialogue n’aurait aucun sens si l’on en sort sans aucune date de l’élection présidentielle", affirme Jean-Lucien Busa député de la frange de l’opposition qui a suspendu sa participation au dialogue.
Le leader de cette partie de l’opposition, Vital Kamerhe, a justifié la suspension de son groupe par le souci d’un consensus plus élargi, même à l’opposition qui boycotte ces assises. Mais de l’avis des analystes, cette annonce cache aussi un certain dépit de se voir couper l’herbe sous les pieds par le pouvoir qui a inséré dans le projet de l’accord l’élimination de la course de tout opposant qui aurait pour ambition de se constituer une petite bourse pour les élections en étant membres du gouvernement.
Mais ceux des opposants qui sont dehors soutiennent être encore ouverts au dialogue mais sans le facilitateur Kodjo qu’ils récusent.
Pour eux, cet accord ne peut le concerner tant que les conditions qu’ils posent –parmi lesquelles la récusation de M. Kodjo- ne sont pas remplies.
Mais de toute évidence, l'opposition, toutes tendances confondues, se plaint de ce que le projet ne comporte ni durée pour la transition ni aucune date pour la présidentielle.
Un consensus plus large en vue
Les violences du 19 et 20 septembre qui ont fait entre une trentaine (selon la police) et plus de 100 morts (selon l’opposition), soulignent la nécessité d'un consensus plus large. La preuve ? Même le dialogue en est gripé. L’opposition, l’Eglise catholique, la société civile et d’autres composantes ont tous suspendu leur participation après ces événements malheureux. Tous en appellent à un consensus plus large. M. Kodjo, lui-même, ne cesse de répéter que le temps est plutôt aux consultations en vue de ce large consensus. Il l’a réitéré mardi soir au groupe d’ambassadeurs qui font la tournée de composantes dans le but de faire progresser les choses.
La même démarche est menée par la Conférence épiscopale nationale du Congo. Les évêques catholiques dont le poids ne peut être ignoré dans le jeu politique congolais, l’affirment haut et fort : "aucun accord signé dans les conditions actuelles, sans un consensus plus inclusif, ne résoudra pas la crise ", a indiqué le porte-parole de la Cenco, l’abbé Donatien Nshole.
D’où, l’appel des ambassadeurs.
" Ce qu’on a compris c’est qu’on est en période de consultations sur le projet d’accord qui a circulé largement et c’est une occasion pour tout le monde de voir ce qui est sur la table, de voir s’il y a des améliorations à faire éventuellement, qu’est-ce qu’il va apporter qui va mener à ce consensus qui soit suffisamment large pour s’assurer qu’on ne revoie pas la situation qu’on a vu la semaine dernière avec les pertes de vies et le recul du pays en termes des acquis démocratiques et économiques déjà réalisées ", a déclaré au nom de ses pairs, Ginette Martin, l’ambassadeur du Canada après la rencontre de mardi soir avec le facilitateur Kodjo.
L’aile dure frange de l’opposition, celle du Rassemblement, plate-coiffée par Etienne Tshisekedi, maintient la récusation de Kojdo. Mais des indiscrétions révèlent qu’ici l’option d’une facilitation élargie, qui ferait de M. Kodjo un co-facilitateur, menée sous l’œil d’un comité international d’appui, est acceptée.
Le nom de l’envoyé spécial de l’ONU Said Djinnit revient de plus en plus pour assurer cette facilitation plus ouverte.
Quant à l’accord à être signé, les radicaux estiment, pour leur part, qu’"en plus de la date de l’élection présidentielle, il devra comporter une mention prévoyant des élections dans 3 mois et préciser que le président Kabila quittera son poste pour devenir un sénateur à vie, selon la Constitution", explique Joseph Mabanga du Rassemblement.
Cet assouplissement constitue l’un des signes de l’avancée notée lors de leurs consultations. Les évêques catholiques notent entre autres aussi l’annonce d’un conclave du Rassemblement à l’issue duquel il y aura un cahier de charges. "Voilà donc un élément qui rassure qu’il (le Rassemblement, NDLR) n’est pas fermé à une jonction avec les travaux qui sortiraient de la cité de l’OUA", a rassuré Mgr Marcel Utembi.