Diane, fonctionnaire au Tchad, se demande comment nourrir sa famille

Le Tchad vit au rythme d'une grogne sociale à N'djamena, le 13 décembre 2017. (VOA/André Kodmadjingar).

Comme tant d'autres travailleurs tchadiens, cette sage-femme subit de plein fouet les nouvelles mesures d'austérité mises en place par N'Djamena début 2018.

"On n'arrive pas à manger trois fois par jour comme avant. Maintenant, c'est une seule fois", se désole Diane.

Assise dans la cour de sa maison, les larmes à peine retenues par ses lunettes, Diane raconte que l'Etat a "retiré 40.000 FCFA (61 euros)" sur son salaire de janvier. Fonctionnaire de 41 ans, elle est en grève depuis fin janvier comme la plupart des employés civils de l'Etat.

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La grève "générale" s'étend au secteur privé au Tchad (vidéo)

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Avant les premières mesures d'austérité en 2016, Diane gagnait 310.000 FCFA (473 euros) par mois. A l'époque, N'Djamena avait réduit de 50% les primes et indemnités des fonctionnaires.

En janvier 2018, même scénario: pour répondre aux exigences d'un plan d'aide des bailleurs de fonds, une nouvelle coupe est opérée dans les primes et indemnités des 92.000 fonctionnaires civils.

Alors, au moment de retirer sa paye fin janvier, Diane se rend compte qu'elle ne gagne plus que 206.000 FCFA (314 euros), un tiers de moins qu'il y a deux ans, pour le même travail.

"C'est dur", s'inquiète cette mère de deux enfants, qui doit nourrir trois autres membres de la famille hébergés sous son toit: deux cousins, et le père de son conjoint.

Ce dernier, François Djekombe, est directeur de la radio FM Oxygène à N'Djamena et ancien journaliste de la BBC à Dakar. Il gagne entre 300.000 (457 euros) à 400.000 FCFA (610 euros) par mois.

Le couple dit devoir rembourser chaque mois un crédit bancaire de 100.000 FCFA (152 euros).

Aujourd'hui, Diane a presque honte de se confronter aux réalités des prix sur les marchés de la capitale tchadienne.

Avec les 40.000 FCFA (61 euros) de primes qu'elle recevait mensuellement avant la dernière coupe, elle pouvait acheter le gaz, le sucre, le thé et faisait même "un peu de provisions".

Maintenant, elle se serre la ceinture. "Surtout que les prix, eux, ont encore augmenté!", assure-t-elle, estimant que certains produits ont vu leur prix doubler depuis fin 2017.

La faute aux fluctuations quotidiennes d'un marché à l'autre, selon les autorités, mais aussi "aux saisons et aux récoltes", commente François.

Il s'étonne pourtant de la hausse des prix en janvier: le coût des denrées augmente normalement en juin ou juillet, juste avant les premières récoltes.

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Depuis fin janvier, un fort mécontentement social traverse le pays. Une grève générale paralyse le secteur public - hôpitaux et écoles compris. Lorsque quelques manifestations de rue éclatent, elles sont vite dispersées par les forces de sécurité qui quadrillent les rues de la capitale.

"Pourquoi nous?", s'interrogent les fonctionnaires et travailleurs tchadiens qui s'estiment les premières victimes de la profonde crise économique que traverse le pays.

Le Tchad, dont les recettes budgétaires proviennent à 70% du pétrole, a vu son économie plonger après la chute du prix du baril en 2015.

Pour payer ses fonctionnaires - dont la masse salariale consomme 80% des ressources propres du pays - N'Djamena a emprunté 779 milliards de FCFA (1,188 milliard d'euros) entre 2014 et 2017 auprès des banques, selon le ministre des Finances, Abdoulaye Sabre Fadoul.

Les syndicats accusent, eux, le gouvernement de "mal-gouvernance". En cause notamment, une loi de 2005 qui a réformé le partage des bénéfices de la manne pétrolière.

Ils étaient auparavant rassemblés dans un "fonds pour les générations futures" devant subvenir aux besoins d'éducation et de santé.

Aujourd'hui, ils sont redirigés vers des allocations budgétaires soumises à moins de contrôle à l'Etat, et vers des investissements publics incluant le secteur de la sécurité.

Le Tchad bénéficie d'un plan d'aide de bailleurs de fonds, dont le Fonds monétaire international. Pour recevoir les différents décaissements, N'Djamena doit maîtriser sa masse salariale et renégocier ses dettes extérieures.

Cloîtrée dans sa maison, Diane s'inquiète pour la fin du mois, le gouvernement ayant averti que les fonctionnaires en grève ne seraient pas payés: "Et alors, je ferai comment, là?".

Avec AFP