Elections en Centrafrique: un avenir à court terme déjà lourd de risques

Un soldat rwandais regarde les électeurs faire la queue pour voter au bureau de vote du lycée Barthélemy Boganda dans le 1er district de Bangui, en République centrafricaine, le 27 décembre 2020.

Les élections présidentielle et législatives, que bon nombre prédisaient impossibles à tenir, se sont déroulées dimanche contre vents et marées dans une Centrafrique en guerre civile depuis huit ans, aux deux tiers occupée par des groupes armés et menacée par une nouvelle offensive des rebelles.

Mais l'avenir est plus qu'incertain, même à court terme.

Le pouvoir du président sortant et grand favori du scrutin, Ange Faustin Touadéra, semble en sortir renforcé. Mais la légitimité de celui qui sortira vainqueur est déjà mise en cause dans un pays où une partie importante de la population a été empêchée de voter et où l'opposition et les rebelles accusent déjà le gouvernement de fraudes.

Les experts redoutent que le pays replonge rapidement dans une spirale d'affrontements sanglants après les urnes.

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Un trou noir avant les résultats ?

Des résultats provisoires doivent être annoncés dès le 4 janvier mais les définitifs pas avant le 18. Trois longues semaines... Un trou noir où tout est possible. Les bulletins des bureaux de vote, dispersés à travers une territoire grand comme la France et la Belgique et occupé aux deux tiers par des groupes armés, doivent être acheminés jusqu'à Bangui pour être comptabilisés et certifiés.

Aux élections de 2015-2016 et la victoire surprise de M. Touadéra au paroxysme de la guerre civile, d'innombrables bulletins s'étaient évanouis dans la nature.

Après la proclamation des résultats par la Cour constitutionnelle, les recalés de la présidentielle et des législatives auront une dizaine de jours pour contester la légalité du scrutin. En l'absence de majorité absolue, un second tour est prévu le 14 février.

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Quelle légitimité pour un vote sans d'innombrables électeurs ?

A Bangui, le vote s'est déroulé sans incident et a suscité une forte mobilisation, mais la capitale n'abrite qu'un million d'âmes sur les 4,9 millions d'habitants. Dans les provinces, de multiples incidents parfois violents ont empêché le vote de dizaines de milliers de personnes.

Le Comité Stratégique de Sécurisation des Elections (CSSE), qui dépend du gouvernement, a lui-même listé au moins 12 sous-préfectures où le vote n'a jamais pu commencer en province. Sans compter nombre de bureaux qui ont ouvert mais vite refermés ou désertés par des électeurs menacés de représailles s'ils s'y rendaient, selon l'ONU.

Déjà en 2015-2016, un grand nombre de bureaux de vote n'avaient finalement pas été comptabilisés, poussant la Cour constitutionnelle à annuler les résultats des législatives du premier tour. Mais pas de la présidentielle.

Bien avant dimanche, l'opposition et les rebelles dénonçaient par avance les "fraudes massives" du pouvoir pour une victoire de M. Touadéra dès le premier tour.

"Ces élections sont partielles, non crédibles et ne respectent pas les standards internationaux", juge Thierry Vircoulon, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

"La fraude de 2016 avait été tolérée et donc légitimée par la population et l’opposition politique au nom de la paix, mais aujourd'hui, c’est toute l’opposition politique qui dénonce des truquages massifs, et qui pourrait bien, en situation post-électorale, soutenir plus directement encore la coalition des groupes armés pour faire entendre son mécontentement", analyse Nathalia Dukhan, spécialiste de la Centrafrique à l'ONG américaine The Sentry.

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Un rapport de force en faveur des groupes armés ?

S'ils ont largement perturbé ou empêché le scrutin dans les provinces, les groupes armés, rebelles ou simples prédateurs, n'ont pour l'heure pas mené à terme leur "marche sur Bangui", bloqués rapidement par les Casques bleus de la Mission de l'ONU en Centrafrique (Minusca) mais surtout par d'imposants renforts en combattants d'élite déployés pour voler au secours du régime par le Rwanda et la Russie, alliée de poids de M. Touadéra depuis plus de deux ans.

Mais les rebelles pourraient maintenir un niveau de pression élevé sur les immenses territoires qu'ils occupent depuis le début de la guerre civile en 2013, d'ici aux résultats des élections mais aussi, et surtout, après.

"Le pouvoir de nuisance de la coalition armée ne disparaîtra pas avec des élections truquées et non crédibles, légitimées par la communauté internationale", estime Mme Dukhan, qui explique: "Le risque majeur sera de voir la coalition armée et l’opposition politique s'unir. Le président Touadéra a misé sur l’argent pour constituer sa base électorale, d'autres leaders politiques disposent d’une vraie popularité parmi leurs ethnies, ce qui pourrait mener à de nouveaux conflits".

"On va entrer dans une phase post-électorale avec une escalade militaire dans les deux camps. Les groupes armés vont continuer à mettre la main sur les richesses, notamment minières, qu'ils ne contrôlent pas encore pour contraindre le gouvernement à négocier, le temps nécessaire d’organiser un putsch", avertit la chercheuse.