En Egypte, le pari du ballet dans un bastion conservateur

Des danseurs répètent leur spectacle à Vienne, Autriche, le 22 février 2017.

Dans une salle décorée de fresques enfantines, neuf fillettes égyptiennes avancent sur la pointe des pieds: dans la région conservatrice de Minya, au sud du Caire, on fait fi des tabous pour apprendre le ballet.

"On regarde devant soi, les bras en arc de cercle au-dessus de la tête", lance leur professeur, venu tout spécialement de la capitale.

Une heure durant, les petites en justaucorps noir et collant blanc essayent de suivre les amples et élégants mouvements de bras de l'instructeur, enchaînant grand écart latéral, pas de bourrée et port de bras.

Une telle scène est pour le moins surprenante, si ce n'est révolutionnaire, dans la ville provinciale de Minya, 240 kilomètres au sud du Caire, car la Haute Egypte est réputée pour son conservatisme et son attachement aux valeurs traditionnelles.

Cette province est habituée à faire la Une pour des crimes d'honneur, des vendettas entre familles rivales ou encore des violences visant la communauté chrétienne.

"A Minya, la société est un peu fermée", admet Marco Adel, l'un des fondateurs d'Alwanat, le centre qui organise depuis mai 2015 les seuls cours de ballet de la région.

'Tenues modestes'

"Nous voulons que les enfants soient plus ouverts sur la vie et qu'ils aiment les arts", explique ce trentenaire diplômé en droit, lui-même grand adepte du dessin.

Le succès d'Alwanat est tel que des parents n'hésitent pas à faire une heure de route pour s'y rendre, à l'instar de Christine Essam, maman d'une petite Eleina de 4 ans et demi.

"Au début, nous avons beaucoup réfléchi. La plupart des gens autour de nous étaient contre, que ce soit la famille ou les amis", reconnaît cette jeune pharmacienne de 26 ans.

"On nous disait +vous n'avez pas trouvé autre chose que le ballet+? Les filles en Haute Egypte doivent avoir des tenues modestes. La danse et tout ça, c'est un peu difficile", poursuit Mme Essam.

Quelque 160 élèves, y compris des garçons, suivent les cours de ballet, contre une petite quinzaine au début. Leur âge varie entre 4 et 26 ans, explique M. Adel.

Plus d'un tiers des participants ont plus de 14 ans, et les filles musulmanes portent généralement le voile, comme l'impose la pratique en Haute Egypte.

Les cours sont dispensés par trois danseuses, dont deux sont voilées.

Mais, signe que les choses changent, personne ne s'émeut vraiment du fait que le quatrième enseignant soit un homme: Mamdouh Hassan, premier danseur à l'opéra du Caire, se déplace à Minya tous les vendredis et samedis.

"Evidemment, on a été un peu étonné. Mais on savait qu'il avait une grande expérience", témoigne Mme Essam.

Barrières 'brisées'

Les difficultés ne manquent pas. Ce vendredi-là, l'enseignant est arrivé avec deux heures de retard: l'autoroute du Caire était fermée à cause du brouillard. Et il faut commander au Caire les chaussons de danse, introuvables à Minya.

"Amener nos enfants faire du ballet n'a pas été facile", reconnaît Vivianne Sobhi, maman de Farah, sept ans. Mais beaucoup de barrières ont été "brisées" et "les filles font aujourd'hui de la natation, se mettent en maillot", se félicite cette institutrice de 27 ans.

Fondé en novembre 2014, Alwanat ambitionne de promouvoir la culture et les arts avec des cours de zumba et de musique, des ateliers de théâtre et de cinéma.

"Ce sont des initiatives personnelles", souligne M. Adel, en reconnaissant que des aides du ministère de la Culture ou de sponsors aideraient le centre, à l'étroit dans un immeuble modeste.

Aidant sa fille de cinq ans, Heaven, à faire le pont, Adel Gerges regrette d'avoir été privé de telles activités durant son enfance. "On ne va pas reproduire la même erreur avec notre fille", affirme ce pharmacien de 35 ans.

Avec AFP