Des juges congolais en exil dénoncent le "système" Kabila contre l'opposant Katumbi

L'opposant congolais Moïse Katumbi lors de la sortie de sa plateforme électorale, à Johannesburg, Afrique du Sud, 12 mars 2018.

Quand le juge de République démocratique du Congo Jacques Mbuyi a pris cinq balles dans l'abdomen, sa collègue Chantal Ramazani, réfugiée en France, n'a pas été surprise. Tous les deux avaient hérité du dossier de l'opposant Moïse Katumbi.

Après l'attentat qui l'a visé en juillet 2017 à Lubumbashi (sud-est), le magistrat est resté longtemps entre la vie et la mort. Il vient enfin de sortir d'un hôpital sud-africain.

Un "miracle" et une "résurrection", confie à l'AFP Jacques Mbuyi.

Lui et sa collègue partagent désormais, l'un à Paris l'autre à Johannesburg, un même destin. Exilés, ils accusent le régime du président congolais Joseph Kabila d'instrumentaliser la justice pour faire taire ses adversaires politiques.

"Je suis victime de tout ce vandalisme et du régime Kabila", estime Jacques Mbuyi. "Quand on dit tout ce qu'on pense très haut au Congo, ça crée toujours des problèmes", lui répond en écho Chantal Ramazani, "c'est le système".

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En poste à Lubumbashi, la juge a condamné en juin 2016 par contumace Moïse Katumbi à trois ans de prison dans une affaire de spoliation immobilière.

Son verdict a signé l'arrêt de mort politique du candidat déclaré à la présidentielle désormais fixée au 23 décembre 2018.

"S'il revient" au pays, "il sera entre les mains de la justice", a encore prévenu récemment le chef de la diplomatie congolaise, Léonard She Okitundu.

Mais un mois après ce jugement, coup de théâtre. Dans une lettre ouverte adressée au président Kabila, Chantal Ramazani affirme avoir "été obligée" de condamner Moïse Katumbi en vue "d'obtenir son inéligibilité".

Elle dit avoir été menacée de "révocation et d'emprisonnement" par "la présidence de la République" et le patron des renseignements congolais, Kalev Mutond, qui ont selon elle condamné "illégalement un innocent".

"Fusillade"

Sa lettre à peine publiée, l'armée a débarqué chez la juge. Mais Chantal Ramazani avait déjà trouvé refuge chez des proches. Deux semaines plus tard, elle a réussi à s'enfuir pour l'Europe.

"Aujourd'hui encore, je reçois des menaces. Mes collègues ont peur de me contacter, d'être arrêtés, d'être révoqués", explique-t-elle à l'AFP depuis Paris, où elle vient d'obtenir l'asile politique.

Chargé d'examiner en appel ce dossier dont, dit-il, "personne ne voulait", Jacques Mbuyi a failli y laisser la vie.

"On ne pensait pas que les politiciens pouvaient aller jusqu'à nous éliminer", explique-t-il, après s'être assis, à grand-peine, dans le canapé de son appartement sud-africain.

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Sa jambe droite traîne encore, son abdomen reste douloureux, mais ses capacités intellectuelles sont intactes.

Une nouvelle fois, il revient sur cette nuit du 18 au 19 juillet derniers, à la veille du procès en appel, quand des "militaires" sont entrés dans sa maison de Lubumbashi.

"Ils m'ont cassé quelques bouteilles sur la tête", raconte le juge en pointant les cicatrices sur son front. Puis ils ont crié "tirez sur lui, il ne respecte pas l'autorité", poursuit-il. "Ils ont tiré treize balles. C'était quasiment une fusillade".

"C'était prévisible", estime aujourd'hui Chantal Ramazani.

Le juge Mbuyi n'a pas formellement identifié ceux qui ont tenté de l'éliminer, ni leurs commanditaires.

Mais certains détails orientent ses soupçons vers le régime Kabila. Il cite les obstacles administratifs faits à son évacuation sanitaire et un témoin qui affirme que ses assaillants ont trouvé refuge dans la résidence du président à Lubumbashi.

"Eliminer les opposants"

Pour Jacques Mbuyi, il ne fait plus aucun doute que la tentative d'assassinat est étroitement liée à l'affaire Katumbi.

"J'avais dit que, contrairement au premier juge, on n'allait pas se faire manipuler", se rappelle-t-il. "J'en suis arrivé à la conclusion qu'il y a de fortes présomptions que ce crime soit l'oeuvre de (...) Joseph Kabila".

Kinshasa dément formellement ces accusations. "Ce sont des histoires, il n'y a rien de vrai là-dedans", affirme Yvon Ramazani, un des communicants de la présidence.

Chantal Ramazani, elle, a été purement et simplement démise de ses fonctions en avril 2018.

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La Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) dénonce les "pressions exercées sur certains juges, emblématiques de l'instrumentalisation des instances judiciaires à des fins politiques, et des manoeuvres entreprises par les autorités congolaises pour tenter d'éliminer les opposants".

Lui aussi exilé, Moïse Katumbi, l'ex-gouverneur de la province minière du Katanga, a dénoncé sa condamnation dans l'affaire immobilière, "inventée de toutes pièces" dit-il pour "empêcher" sa candidature à la présidentielle.

Les deux magistrats, qui nient tout lien avec M. Katumbi, n'envisagent pas de rentrer au pays dans l'immédiat. En tout cas pas tant que Joseph Kabila se maintient au pouvoir.

Mais ils refusent de se taire. "On va avoir peur jusqu'à quand ?", lance Jacques Mbuyi. "Il faut quand même avoir un peu d'orgueil, je dois dire les choses comme elles se passent. C'est ma contribution à mon pays".

Avec AFP