Le calme semblait régner lundi à Tripoli pour la deuxième journée de suite. Les commerces ont rouvert, les services municipaux ont entrepris le déblayage des débris, des techniciens de la compagnie électrique sont mobilisés pour rétablir l'électricité.
Mais les habitants sont sous le choc après des affrontements d'une grande intensité entre milices rivales, au milieu des civils, qui ont fait rage de vendredi à l'aube jusqu'à samedi soir.
Des dizaines de bâtiments éventrés portent les stigmates de ce week-end (vendredi et samedi en Libye, ndlr) sanglant où déflagrations et tirs nourris ont retenti sans répit aux quatre coins de la ville.
"Vraie guerre"
"C'était une vraie guerre", raconte à l'AFP Manal (prénom changé), une riveraine. "J'ai eu peur pour ma famille. Mon bébé sursautait dans son sommeil et s'est réveillé plusieurs fois à cause des bombardements. Je ne savais pas quand ça allait se terminer", ajoute cette quadragénaire qui "hésite maintenant à quitter Tripoli de peur que ça reprenne".
Selon un bilan officiel, 32 personnes ont été tuées et 159 blessées, dont un nombre indéterminé de civils, conséquence d'une lutte de pouvoir entre deux gouvernements rivaux.
L'un est basé à Tripoli (ouest) et dirigé par Abdelhamid Dbeibah depuis début 2021, l'autre conduit depuis mars dernier par Fathi Bachagha et soutenu par le camp du maréchal Khalifa Haftar, l'homme fort de l'Est.
"J'ai fermé les volets, verrouillé les portes et passé la nuit dans un hall sans fenêtres où nous nous sommes réfugiés pour nous protéger des éventuels impacts d'explosion", poursuit Manal.
Fatma Mahmoud, une pharmacienne de 37 ans, s'est "réveillée dimanche en poussant un ouf de soulagement" après avoir entendu que les combats avaient pris fin. "C'est fini, jusqu'à ce que l'un d'eux (les groupes armés) décide d'empiéter à nouveau sur le territoire de l'autre", lâche-t-elle.
Les deux exécutifs rivaux se sont rejeté dimanche la responsabilité des combats qui ont opposé des milices fidèles à l'un ou l'autre, dans un contexte où les changements d'allégeances sont fréquents.
"Les gens ont besoin de se sentir en sécurité et c'est au gouvernement d'imposer son autorité sur les milices", estime Mohamad al-Nayli, un banquier de 33 ans, qui veut enfin voir sa ville "pacifiée".
"Recroquevillés"
Onze ans après la mort de Mouammar Kadhafi, emporté par une révolte appuyée par une intervention internationale controversée sous l'égide de l'Otan, le pays peine à achever sa transition vers la démocratie.
Loin de répondre aux aspirations des manifestants, la révolte de 2011 a plongé le pays d'Afrique du Nord dans une spirale de violences et divisions entre l'est et l'ouest, alimentées par les ingérences étrangères.
Fatima Mahmoud déplore une situation qui "tend à se répéter même si cette fois c'était bien plus violent".
Il y a un mois, des combats à Tripoli avaient fait 16 morts.
Mais les derniers affrontements ont été d'une ampleur sans précédent depuis l'échec en juin 2020 d'une tentative du maréchal Haftar de conquérir militairement la capitale.
"Certains ont perdu des proches (dans les derniers combats), d'autres ramassent les briques de ce que fut leur maison, sans parler des traumatismes, des enfants recroquevillés dans les sous-sols en attendant que ça se termine", dit Fatima Mahmoud.
Une séquence en particulier a suscité l'indignation. Elle montre deux enfants paniqués fuyant une zone de combat, en se couvrant les oreilles.
"Un jeune de 17 ans a été tué et quatre autres ont été blessés, dont un de cinq ans. Les violations contre les enfants doivent cesser", a déclaré sur Twitter Michele Servadei, représentant d'UNICEF en Libye.
Le gouvernement intérimaire de M. Dbeibah est le fruit d'un processus de paix parrainé par l'ONU pour unifier le pays. Sa principale mission était l'organisation d'élections présidentielle et législatives prévues en décembre dernier.
Les Libyens ont connu une nouvelle désillusion avec le report sine die de cette échéance cruciale, sur fond de désaccords persistants entre camps rivaux.
Considérant que le mandat de M. Dbeibah a expiré, le Parlement basé dans l'Est a désigné en février M. Bachagha Premier ministre. Or, M. Dbeibah ne veut céder sa place qu'à un gouvernement sorti des urnes.