En Russie, partager du contenu sur les réseaux sociaux peut vous conduire en prison

Un Russe surfent sur les réseaux sociaux avec son téléphone à Moscou, Russie, le 23 avril 2014.

Maxime Kormelitski n'a pas réfléchi avant de partager sur internet une photo moquant les orthodoxes russes et leur tradition de plonger dans l'eau glacée pour l'Epiphanie. Mais ce clic, a priori anodin, lui vaut la prison en Russie.

Après la publication, ce Russe de 21 ans a reçu une convocation de la police de la petite ville de Sibérie où il vit. Il a ensuite été jugé puis condamné à plus d'un an de prison ferme pour "incitation à la haine".

Ce genre de peine lourde se multiplie. En 2007, la Russie a en effet adopté une loi contre l'extrémisme introduisant la notion de crimes pour "des motifs de haine politique et idéologique". Selon ses détracteurs, le Kremlin l'utilise contre les internautes pour réprimer l'un des derniers espaces qu'il ne contrôle pas.

"Être jugé pour avoir partagé du contenu, surtout un tel contenu, ça n'a aucun sens", explique à l'AFP Maxime Kormelitski, laissé en liberté car son appel est suspensif.

Le jeune homme a été dénoncé par des croyants offensés par sa photo, mais il assure que les autorités l'avaient à l'oeil en raison de son soutien passé à un parti d'opposition.

Autre cas d'internautes poursuivis pour "extrémisme", une notion définie de façon très vague dans la loi de 2007: Andreï Boubeïev, un électricien vivant à Tver, à 200 km au nord de Moscou.

Début 2016, il a été condamné à plus de deux ans de prison pour avoir partagé une photo montrant un tube de dentifrice accompagné de la phrase : "Fais sortir la Russie de toi-même!".

En 2015, plus de 200 personnes ont été condamnés pour avoir partagé du contenu sur internet, dont 43 à de la prison ferme selon l'ONG russe Sova, qui étudie la xénophobie et le nationalisme.

La plupart des peines de prison ont été prononcées pour des publications "dirigées contre les autorités et le président russe, l'ingérence russe en Ukraine ou des appels au jihad", explique Sova.

"L'exemple de Kormelitski suffit à montrer que des centaines de milliers de personnes pourraient être emprisonnés", assure à l'AFP le défenseur des droits de l'Homme Lev Ponomariev, pour qui cette multitude de cas vise à "faire peur aux gens, pour qu'ils ne critiquent pas les autorités et ne descendent pas dans la rue".

Auto-dénonciation

Le directeur de Sova, Alexandre Verkhovski, estime que ces condamnations ne sont pas une tentative délibérée du pouvoir russe pour mettre en prison ses opposants mais qu'elles participent à une campagne de répression plus large, dont les origines remontent au début de la crise ukrainienne.

Alors que le soulèvement pro-européen du Maïdan provoquait la chute du régime prorusse de Viktor Ianoukovitch début 2014, Vladimir Poutine approuvait une loi durcissant les peines potentielles pour la publication de contenu en ligne. Les internautes critiquant la politique russe vis-à-vis de l'Ukraine furent les premiers touchés.

Toutefois, insiste Alexandre Verkhovski, la majorité des peines de prison prononcées pour extrémisme l'ont été contre des militants d'extrême-droite ou pour des appels au jihad.

Le directeur de l'ONG Sova doute que Maxime Kormelitski purge sa peine et explique que seule une petite partie des dissidents en ligne condamnés ont été réellement emprisonnés.

Mais la situation pourrait encore s'aggraver. Deux lois antiterroristes, controversées jusque sur les bancs des députés russes habituellement dociles, ont été votées la semaine dernière.

Parmi les mesures adoptées: le passage à cinq ans de prison comme peine maximale pour "incitation à la haine". Mais les quelques peines très sévères ayant été prononcées ont déjà suffi à faire peur aux internautes russes.

A Novossibirsk, en Sibérie, l'activiste Svetlana Kaverzina s'est dénoncée elle-même après avoir posté la même photo que celle ayant valu un procès à Maxime Kormelitski.

Le puissant Comité d'investigation russe l'a appelé le mois dernier pour "une discussion", a-t-elle expliqué à l'AFP. Les enquêteurs lui ont demandé ce qu'elle pensait de la puissante Eglise orthodoxe, très proche du Kremlin.

"Je pourrais comprendre s'ils vous condamnaient à une amende ou du travail d'intérêt général", explique Svetlana Kaverzina. "Mais la prison, c'est trop".

Avec AFP