Entré en fonctions en avril, M. Abiy, 42 ans, s'est attiré de nombreuses louanges pour avoir impulsé plusieurs réformes clés, comme la libération de milliers de dissidents et la signature d'un accord de paix avec l'Érythrée voisine.
Mais une multiplication des violences à caractère ethnique a accompagné ses premiers mois au pouvoir. Au point que certains analystes doutent de sa capacité à contenir ces forces centrifuges sans faire marche arrière et revenir à l'autoritarisme de ses prédécesseurs.
Lire aussi : Au moins 44 tués dans des affrontements interethniques en Ethiopie"Ma conviction, c'est qu'on ne rétablira pas la loi et l'ordre sans un fort leadership", ose René Lefort, chercheur indépendant spécialiste de l'Éthiopie.
En adoptant un processus de décision très personnalisé, lui-même et ses proches conseillers, sans le plein soutien de la coalition qui l'a porté au pouvoir, M. Abiy a, selon cet expert, créé un "vide du pouvoir" au niveau des régions, devenues un terreau fertile pour les violences.
La problématique ethnique est centrale dans la Constitution de 1995, écrite par le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), la coalition qui a pris le pouvoir en 1991 après avoir mis fin au brutal régime militaro-marxiste du Derg.
Le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique est divisé en neuf régions autonomes, créées sur des lignes ethniques.
Cette Constitution est l'une des rares au monde à promouvoir la gouvernance locale, mais aussi à contenir l'option de la sécession, même si les observateurs estiment que le gouvernement central ne permettrait pas que celle-ci soit mise en oeuvre.
- Pari risqué -
L'objectif était de répondre aux appels en faveur de plus d'émancipation locale sur lesquels le Derg avait tenté de mettre le couvercle, remarque Zemelak Ayele, directeur au Centre pour le fédéralisme et la gouvernance à l'université d'Addis Abeba.
Lire aussi : Le Parlement va élire un nouveau président de l'Ethiopie"Il était nécessaire de créer un mécanisme institutionnel garantissant que la culture des gens soit respectée", déclare-t-il à l'AFP.
L'EPRDF espérait aussi qu'avec l'expansion économique et la réduction de la pauvreté, les identités ethniques s'effaceraient pour laisser place à un sentiment d'unité nationale, observe M. Zemelak.
Mais ce pari risqué n'a tenu qu'un temps. Longtemps étouffées, les tensions ethniques ont resurgi, provoquant des violences qui ont poussé 1,4 million de personnes à fuir leur foyer, soit le plus important déplacement forcé au monde, selon l'Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC).
L'une des raisons tient au contrôle très étroit exercé par l'EPRDF, dominé avant l'émergence de M. Abiy par la minorité tigréenne, sur les régions et leurs peuples, estime M. Zemelak.
"Ils voulaient créer l'idée que chaque communauté est inclue", explique-t-il. "Mais en même temps, ils voulaient créer un mécanisme garantissant que les régions n'affaibliraient pas le centre."
Lire aussi : Le gouvernement éthiopien signe un accord de paix avec un groupe séparatisteM. Abiy, premier chef de gouvernement d'ethnie oromo, la plus importante du pays, a été porté au pouvoir par l'EPRDF après plus de deux années de manifestations antigouvernementales menées par les Oromo et les Amhara.
- 'Gouvernement central faible' -
Ces deux ethnies s'estimaient marginalisées et leur révolte a entrainé des centaines de morts, des dizaines de milliers d'arrestations, et enfin la démission surprise en février du Premier ministre Hailemariam Desalegn.
La nomination de M. Abiy a mis un terme à ces manifestations. Mais elles ont presque instantanément été remplacées par des violences ethniques. Environ un million de personnes ont ainsi fui dans le sud des combats entre la minorité des Gedeo et les Oromo.
Ces affrontements prennent parfois racine dans d'ancestrales rivalités, foncières notamment, qui trouvent à nouveau à s'exprimer. Pour Awol Allo, enseignant à l'université de Keele en Angleterre, ils sont dus aux "frustrations qui débordent" face au règne sans partage de l'EPRDF.
Harry Verhoeven, chercheur à la Georgetown University au Qatar, estime que la démission forcée de M. Hailemariam a aussi envoyé le message que la "violence paye".
"Il ne faut pas sous-estimer la force de l'exemple", souligne-t-il.
Lire aussi : Le Premier ministre éthiopien accuse des soldats d'avoir voulu "faire échouer les réformes"L'EPRDF n'a cessé d'apparaître chaque jour plus divisée après la mort en 2012 de Meles Zenawi, puissant Premier ministre depuis 1995, qui avait réussi à préserver le consensus parmi les quatre partis établis sur des bases ethniques qui composent la coalition.
"En ce moment, il semble que le gouvernement central soit plus faible que jamais", avance M. Zemelak. "Le gouvernement central étant faible, cela signifie que les régions font ce qu'elles veulent."
Le risque est dès lors que M. Abiy ne soit contraint de recourir à une méthode plus autoritaire pour ramener le calme.
"Les gouvernements deviennent généralement autoritaires quand la situation les y force", observe M. Awol, disant espérer qu'une "voie différente" sera cette fois-ci privilégiée.
Avec AFP