Fermiers zimbabwéens expatriés au Nigeria: les derniers vétérans produisent coûte que coûte

Des femmes et des enfants dans les champs d'une ferme, près de Maiduguri, dans l'État de Borno, au Nigeria,le 6 avril 2017.

L'agriculture au Nigeria n'est pas pour les coeurs sensibles: l'électricité par intermittence oblige les générateurs à fonctionner la moitié du temps seulement, les nids de poule rendent le transport lent et coûteux, les fertilisants contrefaits ont dévasté les récoltes. Et pourtant, Piet du Toit, est resté.

"Vous voulez un peu de thé?", demande ce fermier zimbabwéen à l'air bourru, en ouvrant la porte de son jardin luxuriant dans l'état de Kwara, dans l'ouest du Nigeria.

Il y a 14 ans, après que le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, eut saisi les fermes tenues par des Blancs dans le cadre d'un programme de réforme agraire, M. du Toit s'est retrouvé sans ferme et sans avenir, expulsé de ses terres sans indemnisation.

Alors il a accepté l'offre du gouvernement local de l'Etat du Kwara au Nigeria voisin, qui souhaitait développer son agriculture et profiter des compétences des fermiers zimbabwéens, réputés notamment pour leur expérience commerciale.

Piet du Toit est parti s'installer au Nigeria pour reconstruire sa vie. "En ce qui concerne l'agriculture, il y a beaucoup de choses à faire ici", affirme cet expatrié de 64 ans, assis dans son patio à l'ombre des palmiers.

"Mais il y a beaucoup de chemin à parcourir et cela ne se fera pas du jour au lendemain."

Il a créé une ferme de 1.000 hectares au beau milieu de la brousse vierge, à deux heures de route de la capitale de l'Etat, Ilorin.

Parmi les 13 agriculteurs zimbabwéens dépossédés de leur ferme au Zimbabwe et venus comme lui démarrer une nouvelle vie au Nigeria dans les fermes gouvernementales Shonga, seuls cinq vétérans sont encore là.

Comme dans une émission de télé-réalité, les conditions extrêmes -et les combats amers- ont eu raison de la grande majorité d'entre eux, qui ont jeté l'éponge.

Du Toit, qui cultivait du maïs et du soja, a dû se concentrer sur la volaille cette année lorsque le naira en chute libre a fait monter en flèche ses coûts de production.

Pourtant, il assure que son entreprise est en plein essor.

"C'est profitable", dit-il à propos de Valentine Chickens, en montrant ses 21 poulaillers avec fierté. "Assurément, de gros investissements arrivent dans le pays."

Le réflexe d'importer

Le Nigeria traverse sa pire crise économique depuis 25 ans et essaie de s'affranchir d'importations coûteuses tout en diversifiant son économie pour ne plus avoir à dépendre du pétrole.

Le gouvernement du président Muhammadu Buhari présente l'agriculture comme le moteur qui permettra au Nigeria de s'en sortir. Mais la réalité est beaucoup plus complexe.

Les paysans peinent à accéder au crédit. Les prêts bancaires dans l'agriculture représentent 4% de la totalité des prêts accordés, contre 1% il y a trois ans, selon la firme bancaire d'investissement nigériane FBN Quest.

"Cela ne provoquera pas la croissance rapide de l'agro-industrie qui sous-tend les stratégies gouvernementales de substitution des importations et de diversification économique", expliquait-elle dans une récente note.

L'agriculture est dominée par le secteur informel et les petits paysans, sans véritables prix du marché ni exigences de qualité.

"Tant de maillons de la chaîne de valeur sont chaotiques dans l'agriculture", affirme Edward George, analyste à Ecobank.

La plupart de ce que le Nigeria produit va à la poubelle, faute d'avoir pu accéder au marché, selon lui.

La production alimentaire n'a pas su accompagner la croissance démographique nigériane, tandis que l'industrie pétrolière lucrative a permis aux importations de devenir un réflexe, atrophiant le secteur agricole.

"Il y a des Nigérians qui utilisent leurs portables pour importer des pizzas de Londres", s'est plaint récemment le ministre de l'agriculture Audu Ogbeh.

Poulet de contrebande

"Ne tirez pas!", demande Peter Crouch en sortant les bras en l'air d'une écloserie ultra-moderne, en simulant une arrestation.

L'ancien cultivateur de tabac a lui aussi parié gros sur ses poulets.

Il a ouvert l'écloserie en janvier avec son fils, David, dans l'optique de développer ses activités, de la production des aliments pour animaux à la distribution des poulets.

Au Nigeria, "tu dois contrôler toute la chaîne", dit-il.

Ce qui énerve vraiment M. Crouch, c'est la contrebande de poulets.

Un problème du Nigeria moderne, où le secteur informel représente un pan significatif de l'économie du mastodonte: théoriquement, l'importation de poulets est illégale, mais les volailles continuent d'arriver.

Les agriculteurs accusent le Brésil, premier fournisseur au monde, affirmant qu'il vend d'abord les meilleurs parties - la poitrine et les ailes - puis écoule les restes des carcasses à prix cassés au Nigeria.

"C'est un business sophistiqué", dit Peter Crouch en tirant une bouffée de cigarette Madison, une marque zimbabwéenne. Et "si on stoppait les importations illégales de poulet, nous ne pourrions même pas répondre" à la demande.

Alors que les fermiers zimbabwéens arrivent au crépuscule de leur carrière, la jeune génération s'apprête à reprendre la main dans les fermes Shonga.

Comfort Babajide supervise l'écloserie avec son mari.

"Le Nigeria se tourne vers l'agriculture", dit la jeune femme de 30 ans. Mais "certaines personnes croient encore davantage aux produits importés ou étrangers qu'aux produits locaux."

"Cet endroit est un exemple, nous pouvons leur montrer que cela est possible ici au Nigeria."

Avec AFP