Au 20e jour de l'invasion de l'Ukraine lancée par le président russe Vladimir Poutine, le Kremlin a évoqué "la possibilité de prendre sous contrôle total (les) grandes villes qui sont déjà encerclées". Ce qui impliquerait un assaut militaire majeur, vu la farouche résistance ukrainienne.
Un conflit dont Moscou tente de contrôler la rhétorique en Russie, par le biais de lois prévoyant de lourdes peines (jusqu'à quinze ans de prison). L'utilisation du mot "guerre" par des médias ou des particuliers pour décrire l'intervention russe en Ukraine est notamment passible de poursuites.
Ce qui n'a pas dissuadé une femme de faire irruption lundi soir pendant le journal télévisé le plus regardé de Russie avec une pancarte critiquant l'offensive en Ukraine, une scène rarissime en Russie.
L'ONG de défense des droits des manifestants OVD-Info, qui présente cette femme comme Marina Ovsiannikova, une employée de la chaîne Pervy Kanal, a rapporté qu'elle avait été arrêtée et emmenée au commissariat.
Sur sa pancarte, on pouvait lire "Non à la guerre. Ne croyez pas la propagande. On vous ment, ici" ou encore "Les Russes sont contre la guerre". La vidéo de l'incident s'est propagée comme traînée de poudre sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes saluant un "courage extraordinaire".
Plusieurs réseaux sociaux --Instagram, propriété du groupe américain Meta, étant le dernier en date lundi-- sont inaccessibles ou en "accès restreint" en Russie tout comme plusieurs médias critiques du Kremlin.
En Ukraine, les combats se sont intensifiés ces derniers jours autour de Kiev, presque entièrement encerclée, qui s'est vidée de plus de la moitié de ses trois millions d'habitants. Des morts et des blessés ont été signalés après des bombardements lundi dans différents quartiers.
La capitale est "en état de siège", selon un conseiller du président ukrainien.
A la périphérie nord-ouest de Kiev, théâtre de violents combats depuis plusieurs jours, un premier journaliste étranger, l'Américain Brent Renaud, est mort dimanche, atteint à la nuque par une balle d'origine incertaine.
A Donetsk, les séparatistes prorusses soutenus par Moscou, qui tiennent ce centre industriel de l'est de l'Ukraine depuis 2014, ont affirmé qu'une frappe de l'armée ukrainienne avait visé le centre-ville, faisant au moins 16 morts selon le "ministère" local de la Santé, et 23 morts selon Moscou.
L'armée ukrainienne a fermement démenti avoir tiré sur Donetsk.
Dans la région voisine de Lougansk, où les séparatistes prorusses ont également fondé une "république populaire" depuis 2014, toute la partie qui restait sous contrôle ukrainien jusqu'à l'invasion russe lancée le 24 février est désormais "sous les bombardements", a indiqué son chef militaire ukrainien Serguïi Gaïdai.
Il a accusé les Russes de frapper "habitations, hôpitaux, écoles, réseaux d'eau, de gaz et d'électricité", ainsi que les trains évacuant vers l'ouest quelque 2.000 civils par jour.
- Aide humanitaire bloquée -
Plus à l'ouest, dans une autre grande ville industrielle, Dnipro, où se réfugiaient jusqu'ici les civils arrivant de Kharkiv ou Zaporojie, les sirènes d'alerte ont retenti lundi pendant cinq heures d'affilée, pour la première fois depuis le 24 février. La ville n'a finalement pas été touchée.
Un bombardement russe a fait deux morts et un blessé à Kharkiv (nord-est), deuxième ville d'Ukraine, a annoncé le parquet régional, ajoutant qu'un adolescent de 15 ans avait été tué dans une frappe contre un établissement accueillant des jeunes à Tchouhouïv, à 40 km au sud-est de Kharkiv.
"D'après les informations disponibles, Moscou prévoit de renforcer le regroupement de (ses) troupes (...) en direction de Kharkiv", a indiqué l'état-major de l'armée ukrainienne dans la nuit de lundi à mardi.
La Russie resserre aussi son étau dans le sud. Ses forces navales ont "établi un blocus à distance de la côte ukrainienne de la mer Noire", selon le ministère britannique de la Défense.
La situation reste dramatique dans le port stratégique de Marioupol (sud-est), assiégé par les Russes.
L'armée russe "tente de capturer Marioupol. Les soldats ukrainiens sont parvenus à repousser les envahisseurs", a précisé l'état-major ukrainien. Selon lui, le camp russe a perdu dans son offensive environ 150 soldats, deux chars, sept véhicules de combat d'infanterie, et "a battu en retraite".
Un convoi d'aide humanitaire, qui cherche depuis des jours à atteindre la ville, a de nouveau été bloqué lundi par des soldats russes à Berdiansk, à 85 km de Marioupol, selon les autorités ukrainiennes.
Your browser doesn’t support HTML5
Quelque 400.000 habitants de Marioupol vivent terrés dans des caves, privés d'eau, d'électricité, de chauffage et de nourriture. Plus de 2.187 civils y ont péri depuis le 24 février, selon la municipalité.
La guerre gagne aussi l'ouest du pays, jusqu'ici plutôt calme. Des bombardements avaient déjà fait 35 morts dimanche sur la base militaire de Yavoriv, proche de la Pologne, pays membre de l'Otan et de l'Union européenne, et près de Lviv, ville refuge de milliers de déplacés.
Les dirigeants ukrainiens ne cessent d'appeler l'Otan à instaurer une zone d'exclusion aérienne au-dessus du pays mais l'Alliance refuse, par crainte d'être entraînée dans la guerre. Le président américain Joe Biden a prévenu que l'Otan affrontant la Russie "serait la Troisième Guerre mondiale".
Plus de 2,8 millions de personnes ont fui l'Ukraine depuis le début de l'invasion russe, selon un décompte publié lundi par l'ONU, qui recense aussi environ 2 millions de déplacés à l'intérieur du pays.
- "Pause technique" des pourparlers -
C'est dans ce contexte qu'ont repris lundi, par visioconférence, des pourparlers entre délégations russe et ukrainienne.
Le président ukrainien, qui n'y participe pas directement, les a qualifiés de "difficiles", espérant parvenir à "une paix honnête avec des garanties de sécurité" pour l'Ukraine.
En fin d'après-midi, le chef des négociateurs ukrainiens Mykhaïlo Podoliak annonçait une "pause technique" et une reprise des pourparlers mardi.
Après trois tours de discussions en présentiel au Bélarus, puis une rencontre jeudi en Turquie des chefs de la diplomatie russe et ukrainienne, les deux parties s'étaient montrées plus optimistes.
Vladimir Poutine a évoqué vendredi des "avancées", puis Volodymyr Zelensky samedi une approche nouvelle, "fondamentalement différente", de Moscou dans les négociations.
Pour le chef de l'Etat ukrainien, sa délégation a "une tâche claire: tout faire pour assurer une rencontre des présidents".
Signe que les marchés veulent croire à une percée: les cours du pétrole ont reculé lundi, le baril de brut WTI repassant brièvement sous les 100 dollars pour finir à 103,01 dollars, après avoir dépassé les 130 dollars la semaine dernière.
La Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye a indiqué qu'elle rendrait son verdict mercredi dans la procédure lancée par Kiev, qui demande au plus haut tribunal de l'ONU d'ordonner à Moscou d'arrêter son invasion.
En attendant l'issue des négociations, le risque d'un élargissement du conflit est dans tous les esprits.
Le conseiller à la sécurité nationale du président américain, Jake Sullivan, a rencontré lundi à Rome Yang Jiechi, plus haut responsable du Parti communiste chinois pour la diplomatie.
La discussion "intense" et "très franche", qui n'a en rien fait baisser la tension, a duré sept heures, a indiqué la Maison Blanche, qui juge "profondément préoccupante" la position "d'alignement de la Chine avec la Russie".
De hauts fonctionnaires américains ont déclaré à des médias américains que la Russie avait demandé une aide économique et militaire à la Chine pour ce conflit dont Moscou semble avoir sous-estimé la difficulté. Pékin a accusé Washington de mentir sur le rôle chinois dans cette guerre.
Your browser doesn’t support HTML5
"Nous regardons de très près dans quelle mesure la Chine ou tout autre pays fournit une assistance à la Russie, que ce soit une assistance matérielle, économique ou financière", a dit lundi le porte-parole du département d'Etat Ned Price. "Nous avons fait savoir très clairement à Pékin que nous ne resterions pas sans rien faire".
Bien que prévus de longue date, des exercices de l'Otan, "Cold Response 2022", impliquant 30.000 soldats, 200 avions et une cinquantaine de navires de 27 pays, ont démarré lundi dans l'Arctique en Norvège, qui testeront avec une urgence nouvelle la capacité de ses membres à porter secours à l'un d'eux.
- Nouvelles sanctions -
Pour l'instant, outre des livraisons d'armement à l'Ukraine, les Occidentaux utilisent surtout l'arme économique contre la Russie.
L'Union européenne a décidé de sanctionner de nouveaux oligarques russes, notamment le milliardaire Roman Abramovitch, propriétaire du club anglais de football de Chelsea, ont indiqué des diplomates à l'AFP.
Des mesures prévues dans un quatrième train de sanctions européennes contre Moscou approuvées lundi après-midi par les ambassadeurs des 27 Etats membres à Bruxelles, qui "entreront en vigueur dès leur publication au Journal officiel de l'Union européenne" attendue mardi.
Auparavant, 862 personnes et 53 entités russes figuraient sur cette liste noire, qui interdit l'entrée sur le territoire de l'UE et permet la saisie de leurs avoirs.
Un yacht d'un oligarque russe d'une valeur de près de 128 millions d'euros a été immobilisé lundi à Barcelone (Espagne) dans le cadre de ces sanctions, a annoncé dans la soirée le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez. "Et d'autres sont à venir", a-t-il prévenu, sans autre précision.
Selon le quotidien espagnol El Pais, il s'agit du yacht Valérie, qui serait lié à Sergueï Tchemezov, patron du conglomérat russe de l'industrie de défense Rostec, et allié de M. Poutine.
Alors que les sanctions précédentes ont déjà gelé quelque 300 milliards de dollars de réserves russes à l'étranger, Moscou a accusé l'Occident de vouloir provoquer un défaut de paiement "artificiel" de la Russie.
La Russie pourrait avoir du mal à honorer plusieurs échéances de paiement de dettes en devises étrangères courant mars-avril, ravivant le souvenir de son humiliant défaut de 1998.