Une fuite sur les recrues du groupe Etat islamique intéresse les services occidentaux

Plusieurs pays occidentaux étudiaient jeudi des documents révélant les noms de nombreuses recrues du groupe Etat islamique (EI), une mine d'informations "probablement authentiques" en ce qui concerne les jihadistes allemands, même si certains experts appellent à la prudence.

Ces documents, qui se présentent sous la forme de formulaires révélant noms, adresses et numéros de téléphones de candidats occidentaux au jihad, ont été révélés par des médias britannique et allemand.

La chaîne de télévision Sky News affirme disposer de documents révélant 22.000 noms qu'elle a remis aux autorités britanniques.

Un porte-parole du gouvernement britannique a déclaré que Londres n'avait pas jusque-là connaissance de ces documents et étudiait à présent "la façon dont nous pouvons utiliser ces informations pour lutter contre Daech", acronyme de l'EI en arabe.

De son côté, la police criminelle allemande (BKA) a expliqué avoir connaissance de listes de recrues allemandes qu'elle considère comme "très probablement authentiques".

"Nous partons du principe qu'il s'agit très probablement de documents authentiques. Nous les prenons donc en compte dans le cadre de nos poursuites judiciaires et de nos mesures de sécurité", a déclaré à l'AFP un porte-parole du BKA, Markus Koths, sans vouloir se prononcer sur les 22.000 noms cités par Sky News.

-Aider la justice-

En début de semaine, le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung (SZ) et les deux télévisions publiques NDR et WDR ont rapporté être en possession de plusieurs dizaines de fiches de membres allemands du groupe EI.

Le ministre allemand de l'Intérieur Thomas de Maizières avait estimé mardi que ces documents "vont permettre une meilleure compréhension des structures de l'organisation terroriste" et faciliteraient la tâche de la justice en "accélérant les enquêtes" sur les personnes qui tentent de rejoindre l'EI ou l'ont déjà rejoint.

En Suède, les services de sécurité (Säpo) ont indiqué qu'ils connaissaient aussi l'existence de ces documents. "De tels renseignements parviennent aux services de sécurité, mais nous ne rendons pas public ce que nous en faisons", a déclaré à l'agence de presse TT un porte-parole, Fredrik Milder, selon qui "il est trop tôt pour dire" si la liste est authentique et exploitable.

Le site d'information proche de l'opposition syrienne Zaman al-Wasl a lui aussi dit être en possession des documents, qui confirmeraient le souci bureaucratique de l'EI. Selon Zaman Al Wasl, il y aurait toutefois beaucoup de répétitions et au final, on arriverait à 1.700 noms.

"Ce pourrait être un événement majeur", a déclaré à l'AFP Chris Phillips, directeur général du cabinet d'analyse International Protect and Prepare Security Office.

"Cela montre combien l'EI est vulnérable aux siens qui se retournent contre lui", a-t-il estimé, jugeant que les documents pourraient être utilisés lors de futurs procès et permettre de réduire le nombre de départs de ressortissants de pays européens ou nord-américains vers les zones contrôlées par l'EI.

-Des incohérences-

Plusieurs milliers de citoyens européens ont rejoint les rangs de cette organisation qui a conquis de vastes zones en Syrie et en Irak et proclamé en 2014 le "califat", et les autorités de leurs pays d'origine craignent qu'ils ne commettent des attentats à leur retour.

Certains noms de jihadistes déjà identifiés sont contenus dans les documents. C'est le cas, par exemple, d'Abdel-Majed Abdel Bary, un ancien rappeur originaire de Londres qui s'est illustré en postant sur Twitter une photo de lui brandissant une tête tranchée.

Sky News dit avoir obtenu les documents auprès d'un ex-membre de l'EI se faisant appeler "Abu Hamed" qui les aurait volés au chef de la police interne de l'organisation jihadiste avant de faire défection.

L'homme a raconté à Sky News avoir quitté l'EI à cause de l'"effondrement des principes islamiques auxquels il croit" au sein du groupe.

Cette fuite "montre qu'il existe des voix dissidentes dans les rangs de l'EI", a dit à l'AFP Olivier Guitta, directeur général du cabinet de conseil GlobalStrat.

Mais d'autres experts soulignent des incohérences dans ces documents notamment dans le langage ou les logos utilisés.

D'où l'urgence de "la prudence", a déclaré Charlie Winter, chercheur à l'université américaine Georgia State. "Quand j'ai vu dans le passé de telles incohérences, il s'agissait en fait de faux mal faits", a-t-il assuré à l'AFP.

Le journaliste et spécialiste du jihadisme Wassim Nasr note lui que beaucoup des informations sont déjà disponibles depuis des années. "Peut-être que certaines des informations sont vraies et qu'une mise en page a été fabriquée pour vendre chèrement l'info à différents acteurs", dit-il.

Avec AFP