Au milieu du grand cimetière sur les hauteurs de Salerne, au sud de Naples, 26 cercueils sont alignés, sous un franc soleil balayé d'un vent froid. Dans leur ombre, plus de 60 autres migrants morts en même temps, mais dont la mer a gardé les corps.
Les victimes resteront anonymes. La plupart n'ont que le rapport d'autopsie pour témoigner: elles avaient entre 13 et 20 ans, venaient probablement du Nigeria, ne présentaient pas de traces des violences si ordinaires pendant leur périple et sont mortes noyées. L'une était enceinte de 5 mois et une autre de 6 semaines.
Pour l'instant, seules deux d'entre elles ont un nom. Marian Shaka et Osato Osaro avaient 20 ans et venaient du Nigeria. La première était chrétienne et a été identifiée par son mari, la seconde musulmane et reconnue par son frère.
Les deux jeunes hommes, tous deux rescapés, sont un peu à l'écart. Le frère d'Osato, vêtu d'un survêtement rouge, a les yeux brillants et le mot rare. Agé de 18 ans, il est parti avec sa soeur en début d'année et a passé six mois de cauchemar en Libye, "là où on te tire dessus pour rien".
"Ma soeur, tout était bon en elle. Ma mère était très fière d'elle", parvient-il à articuler. A côté de lui, le mari de Marian, casquette rose vif sur la tête, reste muré dans le silence.
Ca vaut pas le coup
Devant des bénévoles de la protection civile et de la Croix-Rouge, des élus locaux et quelques dizaines d'habitants, la cérémonie est courte.Des jeunes viennent déposer des roses, bataillant contre le vent pour les faire tenir sur chaque cercueil. Mgr Luigi Moretti, archevêque de Salerne, et l'imam Abderrhmane Es Sbaa prennent tour à tour la parole pour prier pour les jeunes filles.
Puis les deux responsables religieux passent devant chaque cercueil pour les bénir, avant que d'autres membres de l'assistance viennent rendre hommage à leur tour.
"Ce qui s'est passé est une honte", confie l'imam à des journalistes. "Je suis désolé pour ces jeunes femmes. Mais je suis là pour lancer un message aux vivants: il faut prendre soin de tout le monde".
"Des jeunes si petites, même pas 20 ans, ont péri en mer pour seulement un morceau de pain. Ca vaut pas le coup", renchérit Samba Ba, ouvrier sénégalais de 48 ans installé en Italie depuis 15 ans.
Depuis le début de l'année, près de 3.000 hommes, femmes et enfants sont morts comme elles en Méditerranée.
- Pas de polémique -
Aucun officiel ne prend la parole, et le préfet Salvatore Malfi explique qu'il a choisi de n'inviter "personne qui n'appartienne pas à ce territoire", à commencer par son ministre de tutelle: "j'ai voulu que ce soit une cérémonie sobre, sans dynamique qui n'appartienne pas au rite funéraire".
Le ministre italien de l'Intérieur, Marco Minniti, est en effet contesté par une partie de la gauche -- et par l'ONU -- après les accords qu'il a conclus pour bloquer les migrants en Libye où ils subissent les pires abus.
A Salerne, où les 26 corps sont arrivés avec plus de 400 rescapés le 5 novembre à bord d'un navire militaire espagnol engagé dans l'opération navale européenne Sophia, le maire a décrété une journée de deuil.
Les écoles ont été invitées à observer une minute de recueillement au moment de la cérémonie et les lumières des principaux points de la ville s'éteindront 30 minutes à 18H30 (17H30 GM).
Comme en Sicile, où reposent déjà des centaines de migrants morts en mer, les cercueils sont ensuite répartis dans les cimetières environnants.
Le préfet Malfi accompagne un par un ceux qui restent à Salerne à travers les rangées de pierres tombales bien entretenues. Pour les jeunes migrantes, une poignée de terre, quelques briques et un socle de ciment gravé d'un numéro.
Le préfet envisage d'y ajouter leurs photos post-mortem. Faute de mieux.
Avec AFP