La dernière grève des professeurs pour réclamer le paiement d'arriérés de salaires à un Etat en perpétuelle difficulté budgétaire s'est achevée début juin dans ce pays pauvre d'Afrique de l'Ouest.
Au lycée Hô Chi Minh de Canchungo, dans le nord du pays, la communauté s'est organisée pour en réduire l'impact.
"Nous avons pensé qu'il fallait créer un régime d'autogestion pour essayer de sauver l'année scolaire de nos enfants, en sollicitant une contribution de chaque parent", explique Alberto Suleimane Djalo, responsable de l'association de parents d'élèves de l'établissement.
"Nous avons fait passer le mot dans nos villages, plusieurs rencontres se sont tenues, et nous avons environ 150-200 parents d'élèves qui nous soutiennent", indique-t-il.
Le préfet de Canchungo, Pedro Mendes Pereira, assure avoir "débloqué des fonds pour payer les primes des enseignants afin qu'ils ne se mettent pas en grève".
"Nous sommes en zone rurale et la plupart des parents d'élèves sont des paysans, démunis", souligne-t-il.
Selon un rapport de l'Institut national pour le développement de l'éducation (INDE), seuls 30% des programmes des écoles primaires et secondaires sont traités depuis une vingtaine d'années, à cause notamment des grèves à répétition.
- Autogestion -
Pour y remédier, l'Association nationale des parents d'élèves (ANPE) a lancé des expériences locales d'autogestion, notamment à Quinara (sud) et Cacheu (nord), pour payer les enseignants en lieu et place de l'Etat défaillant.
Dans les établissements où l'association a mis en place ces solutions, elle demande aux parents une cotisation mensuelle de 500 CFA (environ 75 centimes d'euro) par enfant.
"Nous avons l'intention d'étendre le système à toutes les régions du pays. Notre crainte est que l'Etat se dérobe à son devoir d'assurer l'éducation pour tous", déclare Papa Landim, le président de l'ANPE.
Cette initiative des parents d'élèves ne suffit pas à pallier les carences de l'Etat, surtout pour les plus pauvres. "La plupart de nos camarades ont fini par abandonner parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer", témoigne Eugenio Gomes, élève de seconde au lycée Hô Chi Minh.
Selon un rapport de l'Unesco publié en novembre, en Guinée-Bissau, les ménages contribuent à près des deux tiers des dépenses d'éducation (63%), soit "une valeur bien supérieure à ce qui est observé ailleurs en Afrique (24%)".
Le niveau d'enseignement et de scolarisation y est particulièrement bas: "45 % des enfants en âge d'être scolarisés sont en dehors de l'école", en raison de l'instabilité chronique de ce pays depuis 40 ans, précise l'organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco).
- Charge assumée par les familles -
"Les gouvernements successifs inscrivent l'éducation dans leurs priorités, mais ils se fichent de savoir si l'enseignement dispensé est de qualité ou non", accuse Braima Djalo, un cadre de l'INDE.
Dans l'archipel des Bijagos, accessible en pirogue, le système d'autogestion comporte une variante: le paiement en nature.
Dans le village d'Eticoga sur l'île d'Orango Grande, à six heures de bateau de Bissau, la capitale, les parents des 294 élèves de la maternelle, des deux écoles primaires et du lycée sont tous des agriculteurs ou des pêcheurs.
Chaque parent verse 5 kg de noix de cajou ou l'équivalent en riz, arachide ou huile de palme, ou poisson par enfant et par mois.
Ces denrées sont ensuite vendues à Bissau ou au marché hebdomadaire de Bubaque, la ville la plus proche, et la somme récoltée est déposée dans une caisse que gère le chef du village.
"C'est avec cet argent que nous prenons en charge les petites dépenses des établissements scolaires. Pour les salaires, les professeurs les perçoivent quand ils sont versés à Bissau", explique Domingos Alves, 84 ans, chef traditionnel du village.
Bien que syndiqués et soumis aux mêmes aléas salariaux que leurs collègues du continent, la dizaine d'enseignants de primaire et secondaire du village n'ont guère la possibilité de participer aux mouvements de grève.
"Si nous suspendons les cours et rentrons à Bissau, il nous sera très difficile de reprendre le travail à temps, une fois le mot d'ordre levé, à cause de l'éloignement des îles et des difficultés de transport", indique Joao Gomes, directeur d'une école primaire.
"Alors nous préférons rester dans le village et nous entendre avec les parents d'élèves", ajoute-t-il. "La confiance existe, et ça marche".
Avec AFP