Près de 40 ans de disette plus tard, les "Grues", l'oiseau symbole de l'Ouganda, se sont qualifiées pour la CAN-2017 au Gabon (jusqu'au 5 février), leur première compétition continentale depuis l'épopée que les joueurs actuels, et l'écrasante majorité de leurs supporters, sont trop jeunes pour avoir connue.
"C'était une époque différente. Le gouvernement nous soutenait pleinement, nous avions tout ce que nous voulions", se souvient Jimmy Kirunda, capitaine de l'équipe de 1978, dans un entretien à l'AFP, en référence au manque de soutien financier dont a souffert le sport ougandais après la chute d'Amin Dada en 1979.
Le colossal dictateur, soucieux de faire oublier les dérives de son régime sanguinaire (1971-1979) et lui-même féru de sport - il était champion de boxe -, apportait un soutien inconditionnel à de nombreux sportifs.
"Amin venait souvent à l'entraînement pour gonfler notre moral, surtout avant les rencontres à l'extérieur contre des équipes comme la Tanzanie ou la Zambie, des pays qu'il considérait comme ses ennemis", raconte le défenseur Tom Lwanga. "Il sortait des liasses de dollars et nous donnait 200 ou 300 dollars chacun, une somme énorme à l'époque."
"Il nous montrait des petits trucs pour tacler nos adversaires, il avait une vraie passion pour l'équipe", ajoute M. Lwanga, selon lequel le "boucher de l'Afrique" mettait un point d'honneur à saluer les joueurs à l'aéroport avant les déplacements importants.
'Sa bienveillance avait ses limites'
Les victoires étaient généreusement récompensées. Après un succès contre la Tanzanie, Amin Dada avait même dépêché son avion personnel pour ramener les joueurs, se remémorent ceux-ci.
"Si vous étiez dans les forces armées, vous étiez promu", note Mike Diku, ancien arrière latéral.
Mais Tom Lwanga se souvient également de la peur des joueurs face au courroux de l'autocrate mégalomane, au tempérament aussi imprévisible que violent: "Nous savions tous que sa bienveillance avait ses limites, donc nous donnions à chaque fois le maximum".
Protégés des critiques - un journaliste est contraint à l'exil après avoir écrit des articles jugés "démoralisants" par les joueurs -, les Ougandais arrivent au Ghana en 1978 dans la peau de faire-valoir.
Car malgré des qualifications régulières pour la CAN, ils n'ont jusqu'alors jamais franchi le premier tour, et sont versés dans une poule très relevée incluant notamment le champion sortant, le Maroc, que les Grues étrillent contre toute attente (3-0).
"Tous nos adversaires en poule étaient des anciennes colonies françaises, et avec notre passé anglais et notre style de jeu fait de passes courtes, nous avons gagné le soutien des Ghanéens", aussi issus d'une colonie britannique, se remémore Mike Diku. "Cela a continué en demi-finale, lorsque nous avons rencontré le Nigeria, l'ennemi juré du Ghana".
Traversée du désert
Le parcours des Grues, emmenées par le meilleur buteur du tournoi, Phillip Omondi, s'achèvera par une défaite en finale contre le pays organisateur.
Après une longue traversée du désert, marquée notamment par des querelles entre clubs et fédération ayant parfois privé la sélection d'éléments importants, le cru 2017 a déjoué les pronostics en se qualifiant, raflant au passage le titre d'équipe africaine de l'année.
Une réussite que les observateurs attribuent au talent de quelques joueurs - le gardien Daniel Onyango a été élu meilleur joueur africain de l'année évoluant en Afrique -, le travail du sélectionneur serbe Milutin Sredojevic, et le soutien financier renouvelé, bien que modeste, du gouvernement d'un des pays les plus pauvres au monde.
Ce soutien a par exemple permis à l'Ouganda de jouer ses matches de préparation contre d'autres équipes nationales au lieu d'équipes locales.
Versé dans un groupe relevé avec le Ghana, l'Egypte et le Mali, l'Ouganda est un des petits poucets du tournoi. Les 23 joueurs, qui évoluent pour la plupart dans l'anonymat de championnats de seconde zone, comptent sur la CAN pour se montrer et décrocher de bons contrats.
Les joueurs de 1978 n'ont eux jamais connu la fortune. Dix d'entre eux sont aujourd'hui décédés, dont deux officiers ayant payé au prix fort le soutien d'Amin Dada, tués comme des centaines d'autres soldats peu après le renversement du dictateur en 1979.
Avec AFP