En près de deux mois de contestation, plus de 340 personnes ont été tuées, quasiment toutes des manifestants, dans des affrontements qui se concentrent désormais dans le centre de Bagdad dont les rues commerçantes sont devenues un champ de bataille urbain, jonché de douilles et d'étuis métalliques de grenades lacrymogènes mortelles.
Face à la plus grave crise sociale de l'Irak post-Saddam, le pouvoir, un temps ébranlé mais désormais plus déterminé que jamais à se maintenir, a proposé des aides sociales et une réforme de la loi électorale qui peine à prendre forme au Parlement.
Et qui, surtout, ne convainc pas face à des foules qui réclament une refonte du système politique, une purge des "corrompus" et une classe dirigeante entièrement renouvelée.
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Vendredi, dans la rue Rachid et aux abords de trois ponts reliant la place Tahrir, épicentre de la contestation, aux principales institutions du pays, quatre manifestants ont été tués -deux par balles et deux par des grenades lacrymogènes des forces de l'ordre- et 30 blessés, selon des sources médicales.
Ces grenades sont dénoncées car elles sont de type militaire et dix fois plus lourdes que celles utilisées ailleurs dans le monde.
- "Ça ne changera rien" -
Depuis le début le 1er octobre du premier mouvement social spontané d'Irak, plus de 15.000 personnes ont été blessées à Bagdad et dans le sud du pays gagné aussi par la contestation.
Dans son prêche hebdomadaire, le grand ayatollah Ali Sistani, figure tutélaire de la politique irakienne qui a récemment apporté un soutien de poids aux revendications des manifestants sans toutefois retirer sa confiance aux dirigeants, est revenu sur la réforme de la loi électorale.
Il a estimé que voter une telle réforme était la priorité pour sortir de la "grande crise". Le système électoral irakien, l'un des plus complexes au monde, est accusé de favoriser les grands partis et surtout leurs têtes de liste et d'empêcher l'arrivée de nouveaux venus et d'indépendants.
Mais le projet de loi soumis par le gouvernement d'Adel Abdel Mahdi au Parlement ne semble pas répondre aux exigences de renouvellement des manifestants mais aussi de l'ONU qui a réclamé des "améliorations" à ce texte, toujours pas soumis à la première lecture du Parlement.
"De nouvelles élections ne changeront rien: on va revoir les mêmes têtes et le même gouvernement", a balancé d'un revers de main Ahmed Mohammed, un manifestant sur Tahrir.
Car sur cette place, lois et amendements constitutionnels sont loin de satisfaire les Irakiens qui réclament un changement radical.
- "Il nous ment" -
"Les dirigeants ont perdu toute légitimité, leurs propositions ne nous représentent pas. On veut que le gouvernement démissionne", s'est emporté Abou Ali, un manifestant de 32 ans.
Autour de lui, les manifestants occupent jour et nuit l'emblématique place Tahrir et ont repris leurs campements sur trois ponts -al-Joumhouriya, Senek et al-Ahrar- qui mènent à la très sécurisée Zone verte où siègent le Parlement et l'ambassade des Etats-Unis, ainsi qu'aux bureaux du Premier ministre et à l'ambassade d'Iran.
Le grand voisin iranien est conspué et son drapeau brûlé en place publique par des Irakiens qui voit en lui l'architecte du système politique rongé par la corruption et le clientélisme.
Au sud de Bagdad, d'importantes manifestations bloquent aussi de nouveau les villes de Hilla, Nassiriya, Diwaniya, Najaf et Kerbala.
"Nous sommes déterminés à poursuivre la mobilisation jusqu'à la démission du gouvernement et la dissolution du Parlement", a lancé Nassir al-Qassab, un dignitaire tribal qui manifeste à Kout. "Nous rejetons ces propositions du gouvernement, il nous ment et cherche à gagner du temps".
Samedi, un premier membre du gouvernement pourrait faire les frais de la crise. Les députés entendront le ministre de l'Industrie, Saleh al-Joubouri, qui pourrait être le premier fusible du remaniement gouvernemental annoncé.