En s'enfonçant vers le hameau d'Unguwar Busa, après plusieurs heures de pistes de terre sèche, les cases rondes en torchis des peulhs ne sont plus que des murs noircis par les flammes.
Des carcasses de motos brûlées, des casseroles calcinées ou encore des lits dont il ne reste que l'ossature en ferraille jonchent le sol dans un silence de mort.
On s'étonnerait presque d'entendre quelques oiseaux ou des grillons au milieu de la brousse poussiéreuse. Ils rappellent qu'il y a encore quelques jours, il y avait de la vie à Unguwar Busa.
A la veille de l'élection présidentielle prévue samedi 16 février et finalement reportée d'une semaine, le gouverneur de l'Etat de Kaduna avait annoncé 66 morts entre éleveurs musulmans et leurs voisins de l'ethnie adara.
Puis, quelques jours plus tard, il a surenchéri avec un bilan de 130 morts. Mais la vérité est que personne ne connaît le bilan exact, ni ne sait ce qu'il s'est vraiment passé. Il existe autant d'histoires que d'hommes dans ces régions reculées.
Lire aussi : Deux morts dans des violences électorales à la veille de la présidentielle au NigeriaLe directeur de la police locale, Ahmad Abdulrahman, s'est d'ailleurs bien gardé de confirmer ce bilan.
"Ça peut être plus, ça peut être moins dans une crise de cette ampleur, il vaut mieux attendre les résultats de l'enquête pour avancer des chiffres", a-t-il asséné lors d'un point presse, pour tenter de calmer les esprits, déjà échauffés par la campagne électorale.
Selon les témoignages récoltés sur place par l'AFP, une dizaine d'agriculteurs adara auraient été tués le 10 février à quelques kilomètres de là.
Le pasteur Yohanna Buru affirme qu'il s'agissait d'une vengeance après que deux peulhs nomades aient été tués "après avoir fait intrusion dans une ferme avec leurs troupeaux".
Fusils et machettes
Le lendemain, des assaillants armés de fusils traditionnels, de machettes, et le visages masqués ou marqués au charbon ont fait irruption à Unguwar Busa, attaquant dans la foulée une dizaines d'autres campement peuls.
"Nous ne savons pas qui a attaqué les peulhs", confie Dio Dogara, un des rares habitants restés dans les environs.
"Nous vivons ensemble depuis plus d'un demi-siècle. Ce qui s'est passé est terrible. Même les nôtres (les chrétiens, ndlr) ont fui le village".
Husaina Saidu, enceinte de huit mois, a été transportée jusqu'à l'hôpital de Kaduna, où elle soigne ses blessures.
Lire aussi : Couvre-feu allégé à Kaduna au NigeriaMais sa plus grande peine est de ne pas savoir où est son mari. Est-il mort, enterré dans une fosse commune ? A-t-il réussi à s'enfuir ? Des dizaines d'autres de ses voisins peuls sont toujours portés disparus.
"Les assaillants sont entrés dans notre maison et ont commencé à tirer partout. Dans la panique, j'ai du me sauver en courant avec mes enfants", peine à articuler la jeune femme de 25 ans.
Les médecins ont du opérer son aîné de quatre ans, Ibrahim, pour extraire de son ventre treize fragments de balles artisanales.
Ces témoignages sont malheureusement devenus courants dans toute la ceinture centrale du pays, région agricole fertile.
Les affrontements entre éleveurs musulmans et fermiers chrétiens, qui ont fait près de 2.000 morts en 2018 et des centaines de milliers de déplacés, divisent un peu plus le pays le plus peuplé d'Afrique (190 millions d'habitants).
Dans ce pays très religieux, mosaïque de plus de 200 groupes ethniques, la moindre rumeur ou la moindre étincelle est potentiellement explosive.
Jeu dangereux
Et si plus personne ne remet en doutes les terribles violences à Kajuru, beaucoup reprochent au gouverneur Nasir El-Rufai de mettre de l'huile sur le feu à la veille des élections générales, en rapportant un bilan incertain et ne parlant que des pertes côté peulh.
Lire aussi : Les Nigérians espèrent des élections sans violenceLe gouverneur El-Rufai, tout comme le président Muhammadu Buhari, dont il est un allié fidèle, est tout comme lui, musulman du nord. Ils ont été accusés d'inaction, voire même de favoriser leur communauté haoussa-peulh à des fins électorales, laissant le conflit s'enliser.
Un jeu dangereux, surtout à Kaduna, qui avait été le foyer de très graves violences électorales en 2011, et où des centaines de chrétiens avaient été massacrés après la défaite de Buhari, face au chrétien Jonathan Goodluck.
Cette année, les deux candidats en lice pour la présidentielle de samedi sont tous deux des musulmans du nord et ces violences ne sont pas directement liées à la campagne.
Mais dans l'Etat de Kaduna, région écrasée par un chômage de masse, une démographie galopante et une extrême pauvreté généralisée, la moindre dispute peut tourner au bain de sang.
Mi-octobre, une dispute sur le marché de Kasuwan Magani (dans le même district de Kajuru) avait déjà fait au moins 55 morts entre jeunes musulmans et chrétiens.
"Il avait suffi d'un au voleur lancé par quelqu'un et des tirs avaient éclaté", se rappelle Tijani Mohammed Lawal, un des principaux leaders musulmans de la région.
"Les violences ne sont pas nouvelles, mais avant nous arrivions à les régler entre nous", affirme M. Lawal. "Le problème, c'est que les anciens n'ont plus aucun contrôle sur la jeunesse".